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pourvu aux besoins des voyageurs, et cependant qui est-ce qui ne voyage pas aujourd’hui ? » Paris au contraire était si peu cosmopolite que la rareté de ses hôtes de passage les exposait à des voleries et les faisait bénéficier d’honneurs qui ont également disparu : M. et Mme Cradock, sujets britanniques, se plaignent qu’on leur ait indignement surfait les billets à l’Opéra ; en revanche, à la sortie, « notre qualité d’Anglais nous valut, disent-ils, d’être accompagnés par un détachement de Suisses jusqu’à notre voiture. » Nos visiteurs actuels ne peuvent s’attendre à pareilles politesses ; la garde municipale, tout entière sur pied, n’y suffirait pas. Le même couple va prendre des glaces dans un café du Palais-Royal et l’orchestre, sitôt que l’on eut deviné qu’ils étaient Anglais, attaqua le God save the king.

C’est sans doute parce qu’il n’y avait pas beaucoup de cavaliers ni de routiers au XVe siècle que le voyageur, passant à cheval dans les champs, avait alors le droit d’emporter autant d’épis qu’il en pouvait tenir dans ses mains durant une course rapide, ou qu’un charretier, traversant la route pendant la moisson, pouvait réclamer trois gerbes. La ville de Bâle envoie à Louis XIV une députation qui s’arrête vingt-quatre heures à Troyes, où ce passage est occasion de gros gala avec salves d’artillerie « que les lits en tremblent. » A l’auberge, défilé des bourgeois champenois devant les envoyés de Bâle. Il est permis aux dames d’aller à leur tour les voir souper. Elles y mènent leurs enfans « pour qu’ils se souviennent de ce jour et puissent en parler plus tard. » Souvenir mémorable en effet pour un citadin immobile du XVIIe siècle.

« Il m’a fallu, écrivait Gui Patin (1646), faire cet été trois voyages presque bien malgré moi, le premier en Beauce par delà Pithiviers, le deuxième dans l’Orléans même, et le troisième en Normandie. » Les princes eux-mêmes ne vont pas loin : Louis XV en 1749 montre la mer à Mme de Pompadour, qui ne l’a jamais vue. Ils se rendent au Havre, déplacement de treize ou quatorze jours. M. le comte de Saint-Florentin, ministre de l’Intérieur, n’ayant non plus jamais vu la mer, est du voyage. M. Rouillé, ministre de la Marine, qui lui, — espérons-le du moins, — avait déjà vu la mer, précède le Roi au Havre pour le recevoir.

Les hôtes jeunes et gais du prince de Condé à Chantilly sont plus remuans ; s’il leur vient en tête d’aller voir la mer, ils