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les gens de leur pays. Pendant qu’il recevait ce bon accueil de Sékou-Hamadou, El-Hadj-Omar souhaita de régner sur la région du Niger. Les honneurs que prodiguaient aux pèlerins de la Mecque les musulmans très pieux l’induisirent à se croire digne de toutes les ambitions. Car il commença presque aussitôt à rassembler des armes et de la poudre. S’imaginait-il, ayant, à cinquante ans, acquis par la persuasion une armée de fanatiques, vaincre sans combattre ? Se voyait-il dans la suite utilisant sa force comme on sait, brûlant les villages de ses contradicteurs bambaras, peuhls et malinkés, tuant les adultes, asservissant les femmes et les petits, envahissant les vallées du Bafing et de la Falème d’abord, puis celles du Haut-Sénégal et du Baoulé, choisissant Nioro pour capitale, et le Kaarta pour domaine de chasse ? Se promettait-il d’assiéger un jour les Français de Faidherbe dans Médine, après s’être dit adroitement leur allié ? Se représentait-il sa retraite parmi les rochers du Félou, avec les rages de la défaite, en juillet 1857, et sa hâte de chercher refuge à Koundian, au Sud, derrière le Bafing ? Exerçait-il déjà son habileté stratégique, grâce à quoi, en 1860, il devait, évitant toute rencontre avec nos troupes, ressaisir son royaume épars, rassembler 40 000 âmes autour de ses bannières et les conduire au Niger en triomphateur ? Voyait-il, en rêve, les armées Soninkés de Segou, et les armées peuhles de Sansanding se disperser alors devant lui, les Arabes Kountas de Tombouctou envoyer, par Tripoli, des ambassadeurs à la reine Victoria pour implorer les secours de l’Angleterre contre la force du saint ? Causant avec Sekou-Ahmadou, il convoitait le Macina de son hôte, et il souhaitait la prise de Tombouctou : chose qui devait, trois fois, avant 1864, advenir.

Date où, vaincu à son tour, par les Arabes Kountas et les Peuhls du Gourma, le conquérant toucouleur mourut fugitif, dans les falaises de Bandiagara, laissant à Ahmadou l’empire sur les peuples que le colonel Archinard délivra en 1894, et à son neveu Tidiani le Macina.

« Je suis un porteur d’outrés. Mes outres sont Djenné et Tombouctou ; si tu les veux, saisis le porteur avant, » répondait fièrement celui-ci au lieutenant de vaisseau Caron qui lui demandait un appui d’allié pour atteindre, avec ses trois mauvais bateaux, les ports de la ville mystérieuse. La chose pourtant s’accomplit.