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étangs riverains. Multitude sans peur, étonnée seulement par le bruit de la machine.

Que recelait l’avenir du lendemain caché derrière ces dunes et ces herbages, après ces mailles de ruisseaux, de canaux et de rivières entrelacés qui séparent Korioumé de Kabara, le port intérieur ? Certainement nos marins ne doutaient pas du prestige acquis, au Soudan, par notre drapeau, depuis les défaites successives des empereurs esclavagistes El-Hadj-Omar, Ahmadou, Mahmadou-Lamine, Samory, depuis l’entrée du colonel Archinard au Macina, et l’investiture de notre protégé le prince Aguibou, qui refusait à ceux de Tombouctou les grains de ses plaines, qui menaçait d’une famine partielle cette capitale de déserts infertiles. Certainement nos avant-coureurs savaient que les marchands, avides avant tout de rétablir les relations commerciales avec le Macina des pasteurs, n’épargneraient rien pour obtenir de notre force la protection de leurs intérêts. Mais, d’autre part, les Marocains appuyés sur les Touareg nous démontraient, depuis 1893, par des légats, les pouvoirs de leur sultan sur Tombouctou. Pouvoir authentique dès le XVIe siècle. Une harka maghzen allait partir de Marrakech, disait-on. Aussi la prudence était-elle prescrite par le colonel Bonnier, docile aux recommandations du colonel Archinard. D’ailleurs, les deux colonnes, selon le plan de ce chef admirable alors en France, ne devaient pas cueillir le fruit de Tombouctou avant qu’il fût mûr indubitablement. Ces deux colonnes arrivaient seulement au Niger. L’une, celle du commandant Joffre, venait du Haut-Sénégal et de Nioro où elle avait pacifié la capitale et le pays d’Ahmadou. L’autre, celle du colonel Bonnier, rentrait à Ségou après une rude expédition sur les frontières de la Guinée où Samory avait dû lui abandonner toute une foule de malheureux captifs, aussitôt réintégrés dans leurs villages en ruines, et parmi les ossemens de leurs familles, de leurs défenseurs. Aussi le lieutenant Boiteux avait-il pour mission exclusive de convoyer, avec ses canonnières, les pirogues commerciales, de s’arrêter à l’escale de Korioumé, de ne pas avancer davantage, d’attendre, à bord, les renseignemens politiques de Tombouctou.

Ces renseignemens se succédèrent contradictoires et incomplets. Selon leurs espoirs, les lettres des négocians assuraient que les Touareg ne détenaient plus le pouvoir sur les Kountas,