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ni les partisans des Marocains, et que, malgré la nouvelle de notre navigation en avant, transmise par une barque de Saraféré, les Touareg-Tenguèregifs, campant au cœur de la ville, n’obtenaient pas du maire l’armement réel de la population. L’officier pensa que franchir les quelques kilomètres du canal réunissant Korioumé à Day, ne modifierait guère les conditions de la reconnaissance. Là, peut-être, les bateliers venus de l’Est par le marigot de Day, pourraient fournir des indications. L’aspect tranquille de cette escale, les rapports entendus décidèrent le lieutenant de vaisseau à explorer les abords de Kabara. En un chaland, avec quelques laptots qui le poussèrent de la perche sur le canal creusé, dit-on, par Ali-Ber au XVe siècle, M. Boiteux releva le dessin des rives. Il sonda la profondeur des eaux. Il nota l’étendue approximative des plaines marécageuses où l’on voit des jumens et leurs poulains galoper dans les mares, en faisant lever, par myriades, les oiseaux blancs tachetés de noir. Bientôt se précisèrent les feuillages en coupoles des beaux arbres ombrageant le quai et son marché, puis les nattes en voûtes sur nombre de longues pirogues à l’amarre, enfin les couffes de riz en piles, et, derrière cela, toute une foule debout, immobile, grands hommes bleus masqués, cavaliers à lance et à javelots, Arabes à fusil. Sans croire à l’attaque, l’officier cependant fit lâcher les perches, et armer des carabines. Aux premiers gestes douteux de cette foule, il fit coucher ses laptots dans la profondeur de l’embarcation immédiatement heurtée par le choc des javelots et des lances, par les balles éraflant les bois, crevant la chair d’un noir, qui cria. Aussitôt commandé, le feu de salve riposta, très efficace à cette petite distance. Et l’on vit s’abattre des blessés, se crisper un agonisant, galoper au loin les cavaliers bleus, fuir la cohue blanche des hurleurs et des lâches.

Ce drame bref s’accomplit sur la charmante esplanade que, d’ordinaire, occupent, chaque matin, les vendeuses de corbeilles fines, de karité en mottes, de branches à brûler, d’antimoine en morceaux, de sel gemme, de piment vert. Là, s’émouchent, de la queue, les baudets en troupes grises, les « farcas, « prêts à recevoir sans fiéchir l’échiné, des fardeaux considérables. De leurs masses gibbeuses les dromadaires encombrent, le cou allongé dans le sable. Ou bien ils lèvent, au bout d’un col recourbé, leur tête lippue, prétentieuse et insolente, tandis que leurs gros yeux méfians