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Une lettre des notables arriva dans la nuit. Ils s’y défendaient d’avoir préparé l’attaque, œuvre particulière des Touareg et des Kountas, mais confessaient l’envoi, naguère, d’un message au sultan du Maroc pour lui demander avis. La réponse tardant beaucoup, ils acceptaient la venue des Français, sans avoir l’intention de s’y opposer par les armes : « Nous, nous sommes des femmes, nous ne nous battons pas. » On renvoya le courrier avec un billet invitant les notables à venir causer dans l’enceinte de Kabara. Le lendemain, deux légats se présentèrent. L’un était chef de quartier. L’autre, un commerçant tripolitain, fut récusé, comme étranger au pays. Un marabout le remplaça qui put annoncer la retraite des Touareg partis vers Goudam, afin de garder leurs familles et leurs troupeaux menacés par la marche de la colonne Joffre. Toutefois personne de Tombouctou ne veut signer la capitulation. Chacun craint pour sa tête, dans le cas où les Touareg réoccuperaient, un jour, la ville. Ces difficultés de forme ne sont pas pour arrêter le lieutenant Boiteux. En somme, l’ennemi réel évacue la place, et les habitans ne résisteront pas. Or, une crue exceptionnelle porte à cette heure les embarcations par le marigot de Kabara, jusqu’aux faubourgs Est de la cité. Rien de plus simple que d’aller voir. Deux canons-revolvers sont immédiatement démontés sur les chaloupes, adaptés sur deux chalands, et les douze audacieux glissent, rapides, vers la capitale mystérieuse, mal définie par les légendes marocaines, quelque peu décrite par les René Caillié, les Barth et les Lenz.

L’enseigne Aube demeura pour garder la flottille. Bientôt il apprit la réussite complète du commandant. Ce qui lui donna toute audace lorsque, dix jours plus tard, une cavalcade de Touareg apparut soudain, en vue des canonnières. Selon leur habitude, les hommes voilés s’enfuirent en tourbillon, dès que les dix-neuf laptots eurent tiré leur salve. L’enseigne ne voulut pas laisser l’outrage impuni. Entraînant ses hommes, par l’espèce d’avenue sablonneuse et large qui mène à Tombouctou, entre les bosquets de mimosas et d’épineux, il les essouffla. Quand ils durent faire halte, ruisselans, épuisés, haletans, les Touareg tournèrent bride. Revenus au galop, ils entourèrent le détachement qui se réfugia derrière un monticule.. Ils l’y fusillèrent, le décimèrent, puis le massacrèrent.

Il est fort émouvant de se diriger vers le cénotaphe érigé en