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est construite là. Le drapeau domine la tour à créneaux. L’ânier chante des louanges à la jeune bambara. Il lui rappelle qu’il y a dix ans une vierge de même taille et de même âge eût valu huit cents francs payés en barres de sel sur le débarcadère. L’évocation de ce gros prix étonne et flatte l’indifférente. Elle apprécie mieux ses poignets fins, ses chevilles étroites, les sphères pesantes de sa gorge. Nonchalamment elle rattache les deux banderoles qui lui pendent devant et derrière sous le pagne de coton, signe de son adolescence intacte, puis se remet à parfaire la vannerie de couleur qu’elle tresse sous le feuillage des doubalés luisant comme le buis de nos jardins. Ayant rejeté sur chaque épaule les amples manches de son boubou, le séducteur continue son entreprise. Pourquoi l’imprudente n’a-t-elle pas bouché les goulots des « Canaries ? » Les djinns s’y baigneront ; et la buveuse avalera le mauvais sort laissé par eux dans l’eau fraîche. L’enfant écarquille ses yeux langoureux. Son nez camus se dilates Le sourire éblouit. Elle doute par les lèvres. Elle croit par l’esprit. Derrière cent moutons poudreux, voici le berger peuhl au nez droit, et sa lance d’acier lumineux. Un bâton a crosse aide sa marche. L’outre liée en bandoulière lui mouille la tunique ceinte sur les reins. Ses larges pieds plongent dans le sable. Riche, il passe sans que le tentent les pièces de cotonnades ou les bracelets d’or creux, ni ceux d’argent massif, ni les miroirs à cadre de plomb que lui montrent les dioulas malins sous le bonnet blanc, à l’abri du hangar municipal. Ils réussiront mieux auprès de la femme Bella. Assez noble en son teint bleuâtre, avec cinq tresses contre chaque tempe, qu’entoure un diadème en tissu de perles, cette fille de Targui et de captive songaï, s’apparente à toutes nos descriptions des Carthaginoises. Elle porte la mante bleue sombre qui, par-dessus le pagne de cuir, l’enveloppe d’ampleurs exposées dans les vitrines des musées européens, sur les déesses phéniciennes de terre cuite. Parmi ces femmes Bellas, marchandant les grains ronds et jaunes du jujubier, ou les boules en farine de mil unie à des pimens et à du miel que l’on vend un centime, les compagnons du lieutenant Boiteux attendirent le messager de la ville. Peut-être même jusqu’à Tombouctou qu’atteignait alors l’eau du canal rempli par l’abondance triennale de la crue, envoyèrent-ils une ou deux pirogues de ces pêcheurs somonos portant, sur le crâne rasé, un cimier de crins et de boules d’ambre, en queue vers la nuque.