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propriétaires, et ce qu’on pourrait un jour leur dérober à la faveur d’une bagarre.

Tant de prospérité visible attira des convoitises plus lointaines. Ce fut huit ans après l’invasion mandingue, alors que l’islamisme de la population se développait quotidiennement sous les piliers nouveaux de la Dyinguer-Ber, où les marabouts noirs de Khan-Khan-Moussa et de Mali-Maghan commentaient le Coran à la foule assise sur les talons, convaincue par la longueur de l’édifice aux longues nefs parallèles, très hautes, relativement obscures et fraîches, sonores aussi, avec des orées de soleil radieux tout au bout, dans l’ombre bleuâtre ; brusquement on sut que les païens du Mossi et du Yatenga se précipitaient sur l’empire de Mali. On redouta leur cavalerie formidable, leurs esclaves soldats, et les amulettes miraculeuses de Rialé assurant à leur détenteur le pouvoir universel, selon les traditions du Yatenga, Les bateliers du Niger contaient les prestiges de l’empereur du Mossi. Ils décrivaient sa Cour, ses pages-vierges, que les griots tuent, si l’eau lustrale de la fête annuelle, en mirant leurs visages, y révèle les traces d’un amour capable de livrer aux femmes les secrets du prince. Certains expliquaient les honneurs rendus à ses fils nombreux, nés dans les villages des harems qu’on ne peut approcher sans craindre l’attaque des eunuques et la mort. On disait l’adresse de leurs archers.

Elle fut terrifiante quand ils sortirent par essaims agiles et prompts des bosquets couvrant les dunes de Kabara, et quand ils eurent cloué à la palissade les guerriers de la garnison mandingue qui s’avançaient à la rencontre. Aussitôt les lanciers débouchèrent. Puis d’autres cavaliers pourvus de petites haches qui fendaient les têtes audacieuses. Ils firent des manchots et des cadavres pantelans. Très noirs, et le rictus affreux, ces tueurs, aux têtes rases, tout de suite épouvantèrent les défenseurs qui s’enfuirent à travers des ruelles ménagées entre les clôtures. Le reste de la garnison les précéda. Elle gagna le désert, ayant toutefois surexcité l’ennemi suffisamment pour qu’il se ruât en furie, et, partout, flambât les dômes de paillassons, les ruches pointues, les cases coniques, les maisons à terrasse de lattes et de nattes, afin de détrousser les gens qui se sauvaient avec leurs coffres, leurs urnes, leurs étoffes précieuses. A travers les incendies, les lanciers, les sapeurs du Mossi bondissaient, des têtes sanglantes au poing. Alors on se résigna.