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guerriers agitant les queues d’éléphant, de griots clamant les hymnes des combats et de l’amour. La passivité naturelle des Songaïs ne tarda point à s’accommoder de cette mode. Malins derrière leurs yeux tirés et leurs pommettes saillantes, les Soninkés apprécièrent, au bout de leurs navigations commerciales, ces fêtes constantes dans le clair de lune. Vieil hommage à la déesse carthaginoise et que n’aimèrent pas moins les caravaniers marocains du Sahara. Las de leurs peines et de leurs fatigues, ces conducteurs des douze mille chameaux qui transportaient à la Mecque les pèlerins du Mali, chaque année, puis à Takedda, propageaient de tels plaisirs. Car, dans tout le Sahara qui se déclarait vassal du souverain mandingue, Souléïman, de son peuple et de ses goûts, la sûreté des routes sahariennes était, à cette époque, parfaite, la richesse des oasis et des salines, constante, l’agrément de Oualata sans pareil. Ibn Batouta l’affirme qui venait de Fez. Les femmes Messoulas au visage découvert régissaient tout. Selon leur caprice elles aimaient. Les métisses noires de Berbères et de Soninkés firent impression sur le voyageur, comme le miel délicieux, œuvre des abeilles logées dans les troncs des vieux baobabs desséchés. Les beignets frits dans l’huile de karité lui parurent exquis. Il croqua les arachides. Il savoura la farine de haricots, et celle de mil, la pâte bien cuite de l’assida. Dans Mali même, Ibn Batouta put disserter avec des jurisconsultes égyptiens. Il obtint de l’empereur Souléïman, outre trois fromages, du bœuf à l’huile, et du lait caillé, 1 600 francs en poudre d’or. Ensuite le souverain se laissa voir entouré de piquiers et d’archers, assisté d’un interprète que coiffait un turban à franges, que chaussaient des bottes, qu’armaient un javelot d’or et un javelot d’argent. Autour de lui, les olifans d’ivoire sonnaient. Les tambours retentissaient. Les balafons tintaient. Un vélum de soie abritait le monarque rendant la justice, sous un fromager-bombax, en écarlate avec un turban d’or. Deux béliers fétiches le protégeaient contre le mauvais œil. Les femmes se dénudaient en sa présence. Les solliciteurs se présentaient en loques. Ils tombaient à genoux, et se couvraient le dos de poussière avant de parler. Aux jours de cérémonies, des étendards en soie rouge flottaient. Cent jeunes captives fastueusement parées, ceintes du diadème, expertes en danses et en chants, ballaient devant un orchestre de trente jouvenceaux en tuniques rouges et turbans blancs. Comme aujourd’hui