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Egypte, qui de métiers innommables en opérations louches est arrivé à être un des rois de la finance. Nous savons que Brachard adore sa femme, qui le déteste et qui le trompe avec un homme de son monde, Jérôme Le Govain, un don Juan sans cœur et sans scrupules. Nous savons que nous allons assister à la lutte entre ces deux hommes pour la conquête de cette femme. Lorsque l’acte se termine, une dénonciation vient de mettre Brachard sur la piste de la trahison. Nous sommes lancés en plein drame. Désormais la marche de l’action ne se ralentira plus, l’intérêt de curiosité ne faiblira pas. Nous serons sans cesse dans l’attente de quelqu’un ou de quelque chose. Et cette angoisse de l’attente est proprement le grand ressort du théâtre.

Un drame est une action. Nous avons ici sous les yeux un homme qui agit, qui dirige les événemens, qui combine une vengeance, qui poursuit un but, et qui, comme l’auteur lui-même, nous conduit où il veut. Pas d’incertitudes, pas de flottement, pas de diversions ou de distractions : la pièce va droit devant elle et nous entraîne sur ce chemin rectiligne et rapide sans nous laisser le temps ni de respirer, ni de réfléchir.

Dans une pièce bien faite, il faut un personnage sympathique. Combien ne l’a-t-on pas raillé, ce « personnage sympathique, » il y a une vingtaine d’années, à l’époque du Théâtre-Libre et des grands projets de rénovation dramatique ! On l’accusait d’être l’expression même de la convention au théâtre, et c’était contre lui que les réformateurs dirigeaient leur plus vigoureux effort. On a fait des milliers d’articles concluant tous à son expulsion. Est-il alors sorti par la porte ? Ç’a été pour rentrer aussitôt par la fenêtre. Quand nous assistons à un combat, n’est-il pas vrai que nous nous y intéressons d’autant plus que nous nous intéressons à l’un des combattans ? Une pièce, sous peine d’être hésitante, décousue, invertébrée, a besoin que notre attention soit sans cesse fixée sur un personnage, qui est au centre, à qui tout se rapporte, et pour qui nous prenons hardiment parti. Brachard est ce personnage sympathique. Il ne l’est pas à la manière d’Olivier de Jalin, ou de Maxime Odiot, ou de l’abbé Constantin. Il est le personnage sympathique qui convient au théâtre brutal. Il est brutal lui-même et par là plaît à la foule qui est femme, ou qui, du moins, ayant de la femme les instincts les moins nobles, aime à être brutalisée. On sait l’attrait qu’exerce sur elle la force physique, et celui-ci a une encolure de Samson, des épaules à enfoncer les portes, des bras à ébranler les colonnes d’un temple. Il est riche, avec ce prestige qu’exerce toujours la fortune sur ceux qui n’en ont pas, et aussi bien