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sur ceux qui en ont. Cette fortune, il l’a faite lui-même : or le succès du parvenu flatte notre moderne individualisme. Il a de mauvaises manières, il est peuple, il raille « l’honneur » à la vieille mode, il bafoue tout ce que nous sommes las de respecter. Ainsi il répond à l’instinct démocratique et révolutionnaire, qui, aujourd’hui, à l’état plus ou moins latent, est partout celui de la foule. D’ailleurs, la foule est sentimentale. Brachard aime, il n’est pas aimé, il veut être aimé : toute la salle pousse cette mijaurée d’Anne-Marie dans les bras de ce mâle dont l’étreinte puissante la fait rêver.

Dans cette pièce si excellente de facture, on respire une atmosphère morale qui fait horreur. Hommes ou femmes, jeunes ou vieux, il n’y a pas un personnage qui ne soit parfaitement méprisable et qui, par surcroît, n’étale son ignominie avec un entier cynisme. Cela commence par la conversation du jeune Maximilien avec ses père et mère : jouer, faire la fête, « taper » son beau-frère et gouailler ses parens en un langage emprunté aux bookmakers, aux rats d’hôtel et aux filles dont il fait sa compagnie habituelle, tel est le programme de cet affreux petit drôle. Le père, le marquis Honoré d’Andeline, connu dans le monde de la noce sous le sobriquet familier de « Nono, » est un ancien fêtard tombé à un doux gâtisme. La marquise a eu des aventures retentissantes ; et c’est elle qui a donné à sa fille ce spectacle répugnant de se jeter à ses pieds et d’implorer d’elle qu’elle consente à « épouser les millions de Brachard. Anne-Marie, devenue la femme de Brachard, a tout de suite pris un amant, cet aigrefin de Jérôme Le Govain qui, dans ce milieu où grouillent tous les vices, parvient encore à se faire remarquer et est incontestablement le plus hideux de tous. Sa conversation avec Anne-Marie, au premier acte, fait pendant à celle que le jeune Max vient d’avoir avec ses parens. C’est le duo d’amour qui convient à ce genre de théâtre. Ce joli homme vit des conseils de bourse que lui donne le mari de sa maîtresse ; et, pour cette nuit, il a arrangé une de ces parties dont l’invention fait honneur à une imagination de libertin et marque dans la vie d’un roué : c’est de conduire la jeune femme dans un lieu public à un souper où se trouveront des gens du monde et des filles. Qui encore ? Une certaine Grâce Ritherford qui se définira elle-même en disant : « Je suis devenue une ordure. » Entre tous ces gens, titrés, riches ou enrichis, qui mènent grand train et font partie de la société la plus brillante, il n’est question que d’affaires d’argent et de coucheries. Leur passé est pareil à ces mares qu’on ne peut remuer sans en faire monter des flots de boue « Ta femme, crie Le