Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/928

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acquitté de ses fonctions, et qu’en outre il a présenté au prince Électeur une très habile cantatrice, le voici maintenant qui reçoit jusqu’à la somme énorme de 400 florins ! Mon air composé autrefois pour la De Amicis, avec les terribles traits que vous savez, elle le chante parfaitement ; c’est d’ailleurs un de ceux qu’elle va chanter devant la princesse d’Orange.


Le père de la jeune fille que son « excellente éducation » exposait ainsi à se voir « persécutée » par les « libertins » sans foi ni loi de la chapelle électorale de Mannheim s’appelait Fridolin Weber, et remplissait, en réalité, les modestes « fonctions » de souffleur au théâtre de la Cour. Né en 1733, d’une très bonne famille, il avait d’abord étudié le droit, puis s’était préparé à recevoir les ordres, et passait même pour posséder le titre de docteur en théologie ; mais un caractère bizarre, un manque absolu de tout sens pratique, et peut-être aussi de fâcheuses habitudes d’intempérance l’avaient empêché de réussir dans aucune des nombreuses carrières où il s’était essayé ; de manière qu’il avait été trop heureux de pouvoir enfin, à trente-deux ans, se fixer dans un obscur emploi que l’on semblait bien lui avoir accordé et conservé par manière d’aumône. Quant à sa seconde fille, Aloysia ou Louise, âgée en 1778 de dix-sept ans, — et non pas de quinze, comme l’affirmait Mozart par crainte, sans doute, de trop éveiller la méfiance de son père, — sa figure nous est connue par des portraits d’une date un peu postérieure, mais qui nous laissent très suffisamment deviner la séduction toute-puissante exercée par cette froide, rusée, et gracieuse jeune femme sur le cœur naïf et ardent de son compagnon d’excursion à Kirchheim-Poland. Un long visage aux yeux étroits et à la bouche sensuelle, une taille élancée, un mélange savamment dosé d’innocence enfantine et de coquetterie, tout cela était bien fait pour compléter l’attrait initial d’un chant que les témoignages contemporains s’accordent à nous représenter comme un vrai prodige d’étendue et d’éclat, — avec le seul défaut de cette absence totale d’émotion vivante que le pauvre amoureux d’Aloysia mettait ingénument au compte de l’inexpérience de celle-ci en matière d’ « action » théâtrale.

De telle sorte que la visite à la princesse d’Orange, — ou plutôt la longue semaine de promenades sur les bords du Rhin à laquelle cette visite a servi de prétexte, — doit sûrement avoir été la fête la plus exquise de la vie tout entière de l’auteur de Don Juan. Une gaîté merveilleuse s’exhale de la lettre en vers qu’il adresse, le 31 janvier, à Mme Mozart, demeurée à Mannheim pendant que son fils, dans une auberge de Worms, achève de dépenser au profit des Weber les quelques louis d’or de la bonne princesse. Et lorsque, quatre jours plus tard, le jeune