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innovations du traducteur français de la nouvelle de Bandello, montre, une fois de plus, comment des esprits divers peuvent changer complètement, sans l’altérer en rien pourtant, la même matière.

Dans ses compositions destinées à l’illustration du livre, M. W. Hatherell n’avait pour réussir qu’à s’inspirer des scènes les plus caractéristiques du drame en s’efforçant d’en rendre la grâce ou la force. Voici Juliette dans la belle Vérone où le poète a placé son action, Juliette telle qu’elle apparaît pour la première fois à Roméo : « Oh ! Roméo ! Roméo ! où es-tu, Roméo ? Renie ton père et ton nom ! Ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer et je cesse d’être une Capulet. » Et Roméo : « Dois-je l’écouter ou lui répondre ? « On assiste à l’anxiété de Juliette, après l’envoi de son message : « L’horloge sonnait neuf heures quand j’ai envoyé la nourrice. Elle m’a promis de revenir dans la demi-heure. » On la retrouve chez le frère Laurent, si confiant et d’une obligeance si imprudente. « Salut à mon vénérable confesseur, » et lorsque celui-ci lui répond : « Avant que la Sainte Église ait fait une personne de vos deux êtres. » Puis c’est le duo délicieux et charmant à cet âge de la vie où tout est jeunesse et lumière, force et beauté, où rien ne prévaut contre l’amour. Juliette : « Veux-tu donc partir ? Il ne fait pas encore jour. C’était la voix du rossignol et non celle de l’alouette qui perçait ton oreille craintive... La nuit, il chante sur le grenadier, Crois-moi, mon amour. C’était le rossignol. » Roméo : « C’était l’alouette messagère du matin et non le rossignol. » Mais bientôt le terrible réveil : Tybalt est mort ! et Roméo banni. Voici, dans le cimetière, les épées ensanglantées, la coupe empoisonnée, la mort de Roméo, la douleur et le suicide de Juliette sur le corps de Roméo, tout ce dénouement si frénétique dans son désespoir.

Ces scènes, ainsi que les attitudes des personnages, sont en général bien interprétées par le peintre. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire c’est que, dans quelques-unes, les personnages rappellent un peu trop le type anglais : Juliette, dame Capulet et la nourrice surtout. Mais, puisque le héros de Shakspeare que la douleur pousse à la colère et dont le désespoir réveille l’orgueil, le Roméo de la dernière scène, si violent et presque dur, comme l’a remarqué si finement Emile Montégut, est plus un grand seigneur Anglais formé par les habitudes féodales qu’un jeune patricien formé par les mœurs, familières et pleines de bonhomie jusque dans les orages des municipalités italiennes, — et que c’est le seul point où Shakspeare n’ait pas saisi cette nature italienne, que pour tout le reste, il a si merveilleusement devinée, — un simple artiste anglais membre du Royal Institute of Painters in Water-Colours