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nouveaux et il ne s’étonne nullement quand il apprend que Bonaparte, ayant lu ses Considérations sur la France, ait voulu réaliser à sa façon les conseils politiques de l’auteur.

La monarchie Sarde est comme écrasée entre la France et l’Autriche. Le roi de Sardaigne a appelé Joseph de Maistre dans son île, mais cet homme a trop d’envergure pour un « si petit espace. » Il ne peut d’ailleurs se confiner dans le rôle médiocre d’un régent de chancellerie. Il a des visées beaucoup plus hautes. Victor-Amédée s’en aperçoit bien vite et, autant pour éloigner un conseiller trop remuant que pour profiter de ses calculs, il l’envoie auprès d’Alexandre à Saint-Pétersbourg, comme ministre plénipotentiaire. Heureux exil, heureuse mission, qui permettront au comte de Maistre d’écrire des livres prophétiques et de rédiger une correspondance diplomatique où il y aura tant à prendre et tant à étudier ! Il représentera un petit royaume très menacé et cependant il aura l’attitude d’un grand ministre, conscient de sa dignité et de sa valeur, soucieux de l’étiquette et de ses formes, très écouté et très apprécié, attirant à lui tous les esprits, même les plus rebelles, par sa grâce, sa science et son esprit. Il donnera des conseils qu’on n’écoutera pas toujours, mais qu’on n’oubliera jamais. Il aura des vues, des idées, des considérations qui ne seront qu’à lui. Venu en Russie pour faire la guerre, non pas à la France, mais à la République et à tout pouvoir autre que la monarchie légitime, il prend pour s’exprimer l’allure et le verbe d’un prophète. Parfois ses prédictions se réaliseront. Le plus souvent, tout en étant fort saisissantes, elles échoueront. Mais il est homme à ne pas s’en embarrasser et, quand il le faudra, il essaiera subitement de plier les événemens à ses formules et il fera de la fortune une Providence inattendue.

N’examinons ici l’écrivain que par rapport à Bonaparte, car tel est le seul but de cette étude.


Le comte de Maistre voit que le Consulat provisoire, devenu le Consulat définitif, va être le Consulat à vie, en attendant qu’il se transforme en Empire. Eh quoi ! ses prédictions sur la conservation de la Monarchie, sur la façon dont un général heureux, reprenant le rôle de Monk, rétablira lui-même le pouvoir royal aux applaudissemens de tous les Français, cette