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Mais si les admirateurs de M. Paul Claudel ont raison, si la vie sort de son œuvre et se propage au dehors, il doit suffire d’un chemin de connaissance pour pénétrer cette œuvre et pour en goûter le fruit.


Malgré les apparences, M. Paul Claudel est entièrement intelligible. La difficulté qu’on éprouve à l’entendre est une difficulté formelle, non essentielle, et ne vient point de ce qu’il a l’esprit confus, ni de ce qu’il veuille rien dire de mystérieux. C’est un esprit solide et clair. Quand il délaisse la langue poétique pour écrire sur des sujets actuels, ou sur des questions concrètes, par exemple sur les conditions matérielles du théâtre, comme il l’a fait récemment, il le fait avec une clarté simple et convaincante. Son livre de philosophie, si compliqué de forme, montre une intelligence familière avec tous les systèmes et capable d’en constituer un. D’autre part, il ne cherche pas le mystère, il n’a rien de commun avec un Maeterlinck, il n’a aucun amour du vague, il ne s’occupe pas de produire un état d’âme chez le lecteur. À part ce livre de philosophie, Art poétique, et tout ce qui est allusion à des rapports mystiques, choses qui demandent pour être comprises des esprits préparés, son œuvre est claire à l’examen, et les drames en particulier. Seulement, elle s’appuie sur une culture intellectuelle plus étendue que notre culture moyenne de lecteurs ; de plus, son style est plein de particularités. Que faut-il contre ces premiers obstacles ? Simplement de l’habitude, une longue, patiente, bienveillante habitude. Bientôt tout ce qui est procédé matériel semble normal ou cesse d’être gênant ; le lecteur rétablit lui-même les signes qui seraient favorables au sens d’une phrase rompue ou disjointe ; enfin tous ces accidens disparaissent sous l’afflux d’une pensée qui peu à peu envahit chaque fragment, ne laisse entre eux que des sillages noirs bientôt éclairés à leur tour ; et surtout on est porté, entraîné, par le mouvement qui est irrésistible.

Mais deux caractères de l’œuvre de M. Claudel, et qui tiennent à lui, à la nature même de son talent, seront de plus sérieux obstacles à la compréhension aisée de ses ouvrages.

Le premier est le lyrisme. Nous avons un peu perdu l’habitude en France de rencontrer « ces grands lyriques irréfléchis. »