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n’être encore qu’un écolier en matière de vie m’est souvent à charge et je vous devrai beaucoup si vous m’aidez à voir le monde avec plus de clarté. J’ai tourné depuis ma jeunesse l’attention de mon esprit vers le dedans plutôt que vers le dehors et il est donc fort naturel que j’aie appris jusqu’à un certain point à connaître l’Homme sans concevoir et sans comprendre le moins du monde les Hommes pour cela ! » Oui, s’efforcer de révéler à l’enfant gâté, à l’étudiant en belle ou maussade humeur que fut, jusqu’à vingt-cinq ans, le génial Wolfgang Gœthe, cette vie au plus haut degré pratique et réaliste qui est la vie des cours, — existence où la lutte se fait plus âpre qu’ailleurs parce que le prix immédiat en est la puissance directe sur les hommes ou les choses, — telle fut la tâche à laquelle s’appliqua sciemment^ fermement, méthodiquement Charlotte de Stein.


VI

Nous nous rendrons plus exactement compte de ce que fut la formation morale de Gœthe par Mme de Stein, si nous reproduisons les propres commentaires du poète sur un instructif épisode de sa vie de courtisan. Il s’agit du séjour qu’il eut l’occasion de faire au château de Neunheiligen à la fin de l’hiver 1781, en compagnie de Charles-Auguste. La châtelaine, comtesse de Werthern, née Stein (des Stein de Nassau qui se disaient cousins éloignés de ceux de Kochberg) et sœur du célèbre homme d’Etat restaurateur de la Prusse après Iéna, était une femme de tout point accomplie, dont le duc de Weimar se montrait fort enthousiaste. Son mari passait au contraire pour un assez déplaisant maniaque. ; Le portrait du couple figure d’ailleurs dans le premier Wilhelm Meister, sous les traits du « Comte » et de la « Comtesse. »

« Cette femme, écrit Gœthe à Charlotte le 8 mars 1781, est aimable, simple, avisée, bonne, raisonnable, gracieuse, tout ce que vous voudrez encore et sa manière d’être est faite précisément pour me remémorer ce que j’aime ! » Retenons ce rapprochement entre la comtesse de Werthern et la baronne de Stein, afin d’en faire notre profit par la suite. « Elle est malade, poursuit le voyageur, mais supporte cet état comme les femmes seules savent le faire. Elle aime le duc de façon bien plus belle