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C’était un dernier appel à la concorde. « Que les hommes ardens se gardent de repousser de leurs rangs ceux qui ont une âme moins élancée vers la liberté, mais qui ne la chérissent pas moins qu’eux... Ajournons nos haines personnelles jusqu’après la Constitution. » Et comme les applaudissemens éclataient fort naturellement à Droite, Cambon qui, membre du Comité, savait le secret de cette démarche, ne put le retenir et, se tournant vers les Girondins : « Ce passage, dit-il, que nous venons d’applaudir a été écrit par un homme calomnié, par Danton ! »

Mais il était trop tard pour arrêter la rue avec des phrases. Et d’ailleurs, Danton espérait que le mouvement n’aurait peut-être qu’un effet : forcer la Convention à supprimer la Commission des Douze. Barère affirme, — et Cambon confirme, — que Danton et Delacroix avaient rédigé la pétition même que, le 31, les délégués de la Commune, tandis que le tocsin sonnait dans Paris, apportèrent à l’Assemblée, acte d’accusation contre la Commission et ses tenans.

Ceux-ci soupçonnaient le fait. Ils tenaient Danton pour le meneur qui voulait leur mort. Quand, le 31 au matin, les Girondins menacés entrèrent dans la salle des séances, ils y trouvèrent presque seul Danton à son banc. « Vois-tu, dit Louvet à Guadet, vois-tu quel horrible espoir brille sous cette figure hideuse ? » — « Sans doute, répondit Guadet, c’est aujourd’hui que Clodius exile Cicéron, »

Clodius voulait-il exiler Cicéron ? Cela n’est pas certain ! mais le réduire à l’impuissance, à coup sûr. Lorsque, à la même heure. Garat rencontra Danton à la Convention, il lui dit ses craintes : « Qui remue ces ressorts ? Que veut-on ? » — « Bah ! fit le tribun, il faut les laisser briser quelques presses et les renvoyer après cela! » — « Ah ! Danton ! je crains bien qu’on ne veuille briser autre chose que des presses ! » — « Eh bien ! il faut y veiller. Vous avez les moyens bien plus que moi. » Même si Danton était sincère, Garat avait raison. C’est toujours jouer jeu dangereux que de lancer la populace à l’assaut, en assignant in petto des limites à ses audaces.

Quoi qu’il en soit, les pétitionnaires introduits, Danton les appuya. On avait créé, dit-il, « une commission impolitique : >> il la fallait casser ; si on ne le faisait, le peuple « ferait pour sa liberté une insurrection. » C’est cependant Robespierre qui vint