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dont les accens révèlent mieux qu’un simple procédé oratoire : une conviction sincère. Cette « patrie » dont il avait tant parlé devenait pour lui tout autre chose qu’une entité philosophique : c’était une chose concrète : la France. Il avait en elle une confiance admirable, particulièrement dans les soldats français. « Il n’en est pas un seul qui ne croie valoir plus de 200 esclaves, » s’écrie-t-il. Avec eux, aucune crainte à concevoir : la France, si elle ne faisait pas céder la coalition par l’évident retour à la raison que dénotait le vote du 13 avril, appuyé de démarches pacifiques, la saurait faire plier sous le feu de ses canons. Il fallait pour cela que le guerrier français, montant à l’assaut, « ne dît point comme autrefois : Ah ! si ma dame me voyait, mais qu’il dît : Ah ! si ma patrie me voyait. »

Ces phrases brûlantes étaient acclamées : elles lui valaient cette persistance de popularité qui lui paraissait si nécessaire pour se permettre d’ « être sage. » Il la fortifiait par des déclarations malheureusement plus démagogiques que patriotiques, félicitant, le 10 juin, les Parisiens d’avoir fait la journée du 2 et méritant, par cette justification de l’émeute, les félicitations du club où, le 14, Bourdon de l’Oise exalté le saluait de ces mots : « Danton, tu as sauvé hier la République ! » À quoi il répondait : « Je vous égalerai en audace révolutionnaire et mourrai Jacobin ! » Par ailleurs, il bâtissait avec son ami Hérault de Séchelles la constitution dont il déclarait, le 29 mai, qu’il la fallait faire la plus démocratique dans ses bases. Le peuple, avait-il dit le 10, n’était-il pas « essentiellement bon ? » Conçue dans cet esprit, la Constitution serait « la batterie qui ferait un feu de mitraille contre les ennemis de la liberté. »

Ces phrases démagogiques. Garat nous l’a dit et nous le constatons, masquaient des tentatives, à la vérité assez gauches, de clémence. Il entend qu’on ne traite pas en proscrits les Girondins vaincus et par là s’expose aux dénonciations des Cordeliers extrêmes. Paré, son homme, devenu ministre de l’Intérieur, se montre fort modéré ; Desmoulins attaque Marat, qui leur « ferait faire de mauvaises affaires. » Les extrémistes sont mal vus du groupe. Danton ne cesse d’affirmer qu’il faut viser « à l’égalité des droits, non à l’égalité impossible des biens. » Et, rassurant les propriétaires, il sauve les prêtres, à la déportation desquels, le 19 avril, il s’est opposé. Il étale une large tolérance :