Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bizarre anomalie du langage, qui désigne du même mot les choses les plus nécessaires et les plus douces au cœur de l’homme, et celles qui font gémir sa pauvre chair douloureuse.

Il n’entre point, dans le programme que nous nous sommes tracé, d’exposer ici d’une manière complète l’état de nos connaissances sur ces maladies, et tout ce dont s’est enrichi à leur endroit l’arsenal thérapeutique. Des volumes n’y suffiraient pas. Nous nous contenterons d’examiner ces choses du point de vue pastorien, et de mettre en évidence dans ce domaine les progrès réalisés qui relèvent du mouvement créé par Pasteur, et baignent par quelque racine dans le puissant torrent d’idées qui eut sa source au fond des cerveaux de ce grand homme et de ses disciples.

On nous permettra au préalable quelques mots nécessaires sur l’esprit dans lequel il convient à notre sens d’aborder l’étude de ces maladies. Un long atavisme de bestialité, puis d’ignorance, fait que les hommes ne savent point en général regarder les choses les plus simples d’un œil parfaitement achromatique. Toujours entre elles et eux les préjugés ou les habitudes irraisonnées viennent interposer leur prisme déformant. Les maladies elles-mêmes n’ont point échappé à cette règle. Le temps n’est pas très loin où les maladies mentales, par exemple, étaient considérées comme d’une essence spéciale, où on ne les regardait qu’avec une sorte de terreur superstitieuse. On trouverait aujourd’hui bien des gens, se piquant d’être des esprits dégagés, et qui considèrent encore les aliénés comme des sortes de « possédés, » relevant vaguement de la sorcellerie. Si sur ce point pourtant on a fait des progrès, ils sont par ailleurs bien incomplets, et il y a toujours, pour la plupart des gens du monde, des maladies a distinguées » et des maladies « honteuses. » A ces deux catégories extrêmes appartiennent respectivement et tout justement la tuberculose et la syphilis, laissant entre elles le cancer qui n’évoque jusqu’ici dans les âmes sentimentales qu’une neutralité suspecte, comme s’il ne méritait ni l’excès d’honneur de celle-là, ni l’indignité de celle-ci. La tuberculose fut très à la mode vers les 1 830 ; ne lui devait-on pas la pâleur romantique ? Elle a inspiré les poètes, les dramaturges, les romanciers : chacun le sait sans que nous ayons besoin d’évoquer ici Millevoye, Alexandre Dumas et sa Dame aux Camélias, ou même tout près de nous, — horresco referens ! — ce Phalène dont les feux de la rampe eurent tôt fait de brûler les ailes impétueuses. Bien qu’un peu déchue de son piédestal poétique, la tuberculose ne laisse pas de conserver encore un certain charme élégant et languide aux yeux des