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l’idée malheureuse de réfuter les divagations géométriques du destinataire de ce « badinage ? » « J’ai reçu votre portrait, — lui répond Casanova, — et je vous remercie. Je ne l’ai pas trouvé très ressemblant, mais votre nom me suffit. Je ne vous dis rien des vers, car ils ne sont qu’une évaporation de votre bon cœur, que votre bon esprit aurait dû rejeter : mais je la prends pour ce qu’elle vaut, et je vous assure que je ne la montrerai à personne, car elle vous ferait du tort dans le jugement de ceux qui ne savent pas apprécier la philanthropie. » Ces derniers mots en réplique à un passage d’une lettre d’Opiz, où celui-ci félicitait son correspondant d’appartenir, comme lui, à l’enviable race des « philanthropes. »

Mais évidemment Opiz s’est juré de vaincre, à force de flatterie, l’humeur quelque peu difficile d’un ami qui, à présent, s’est mis en tête de ne plus même souffrir d’être qualifié de « philosophe, » — si bien que le pauvre homme ne sait plus comment l’appeler ! Du moins le voyons-nous s’Ingénier à reprendre, dans les lettres de Casanova, toutes les phrases qui ne contiennent pas de remarques trop offensantes à son endroit, pour les entourer d’un commentaire infiniment élogieux. Et puis ce sont des confidences sur ses propres travaux, comme afin de rappeler à son correspondant qu’il n’est pas seulement un éminent « inspecteur des finances de la Banque au service de Sa Majesté l’Empereur et Roi, » — tout en ne manquant pas de se prévaloir de ce titre à la fin de ses lettres. « Je ne vous parlerai plus de notre dispute à l’égard du fameux mot : philosophe, car ce serait pousser trop loin une querelle d’Allemand. Mais sachez que je viens d’achever ces jours-ci une classification des couleurs, contenant 7 651 couleurs, chacune rangée d’après un nouveau système de mon invention, chacune désignée par un nouveau nom caractéristique, exprimant très exactement la propriété de la couleur désignée. C’est moyennant la même méthode (laquelle je me crois autorisé de nommer la mienne) que j’ai déjà exécuté plusieurs autres classifications. Il y a neuf ans, j’ai fait l’essai d’une classification des physionomies humaines ; de même, j’ai exécuté une classification des savans, el maintes autres. Ma méthode est applicable presque partout. »

Imprudent Opiz, qui se mêle de classer les couleurs, au lieu de tâcher à comprendre la « duplication de l’hexaèdre ! »


Votre projet m’a bien fait rire. — lui répond Casanova. — Vous me dites que vous en avez classifié 7 651 : je vous félicite, mais permettez que je n’y comprenne rien ; et après, ad quid perditio hæc ? Je vous dirai la même chose sur la chimérique idée de classifier les physionomies. C’est