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présentent à nous. Le néoplatonisme qui circule dans les œuvres de Lefèvre, affleure toujours à la surface. Malgré l’hostilité violente de Luther ou les critiques acérées d’Erasme, les écrits pseudodionysiens continuent à trouver crédit chez un certain nombre d’humanistes. Ils s’accordent ici avec les théologiens les plus rigides. Ceux-ci n’ont-ils point affirmé, presque comme un dogme, l’authenticité des traités de l’aréopagite ? Et n’a-t-on pas vu Clichtowe emprunter à « la hiérarchie céleste » quelques-unes de ses armes contre Luther ? Comment s’étonner que ces livres influent sur la pensée ? Déjà, en 1521, dans un « recueil d’allégories et de sentences morales tirées des deux Testamens, » nous voyons reparaître les formules bien connues sur « l’illumination » de l’intelligence et la « purgation » des sentimens. Nous retrouverons également, chez un grand érudit comme Pagnino, le symbolisme du Pseudo-Denys, et c’est certainement sous cette influence qu’il écrit, en 1530, son Isagoge « sur les sens mystiques de la Sainte Écriture. » Cette infiltration est plus sensible encore chez un autre hébraïsant, Chéradame de Séez. Sous le titre modeste d’Alphabet hébreu, Chéradame publie en 1529 tout un petit traité de mystique dionysienne. Dans la langue sacrée, il veut voir d’abord un symbolisme. Il le trouve dans les mots : le triple nom de Jérusalem lui paraîtra, par exemple, celui de la Trinité. Il le cherche jusque dans les lettres. Leur forme, leur consonance, leur harmonie, leur ordre, leur nombre, tout a un sens. L’une figure l’être de Dieu, impénétrable et simple ; l’autre, le Christ ; celles-ci, les élémens du monde immatériel ou les formes multiples de la création ; celles-là, l’homme, son intelligence, son corps. L’alphabet hébreu enferme ainsi toute une théologie, et celle-ci n’est autre que la spéculation néoplatonicienne du Trismégiste. Chéradame en accepte et reproduit le principe fondamental : la hiérarchie des mondes, l’harmonie des êtres « non seulement dans les choses qui sont visibles, mais aussi dans celles que l’œil humain ne perçoit pas. »

Il est curieux que ce mysticisme spéculatif soit surtout l’œuvre des hébraïsans. Mais il touche aussi à la culture grecque et, par là, si peu original qu’il soit, il prépare une évolution autrement profonde, qui s’annonce déjà, avant 1530, mais ne se révélera que dix ans plus tard : le retour du platonisme. — Simple filet d’ailleurs, et un peu mince, qui ne réussit point à entraîner.