Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les esprits vont ailleurs, vers des doctrines qui font vivre et qui consolent, vers ce mysticisme moral dont nous allons trouver dans Marguerite de Navarre la plus remarquable expression.

On ne saurait comprendre le mysticisme de Marguerite, si on n’avait présens à l’esprit son rôle et sa culture. N’oublions point qu’elle appartient à la Renaissance. « S’il y avait au bout du royaume, lui écrivait Briçonnet, en 1524, ung Docteur qui, par un seul verbe abrégé, peut apprendre toute la grammaire... et ung aultre de la rhétorique, ung aultre de la philosophie, et aussy des sept arts libéraux..., vous y courriez comme au feu. » En fait, son érudition est prodigieuse. Elle sait le latin, et peut lire couramment Erasme, qu’elle n’aime point d’ailleurs ; elle connaît assez le grec pour comprendre Sophocle ; elle étudie l’hébreu, pour pénétrer la Bible. Nous savons qu’elle avait lu Dante et Boccace dans leur langue et s’essayait aux lettres italiennes. Et cette savante s’entoure de savans. Comme son frère, elle traîne à sa suite un cortège d’hommes de lettres. Elle a pris à son service Marot et des Périers. Elle pensionne des poètes ou les recommande au Roi, envoie des écoliers chercher la science en Allemagne ou en Suisse. Voulté lui rendra cet hommage qu’elle a par son exemple appelé les femmes aux jouissances de l’esprit et du savoir. Elle est bien, dans son pays, la première de ces grandes dames de la Renaissance qui n’aspirent point seulement à plaire aux hommes, mais à les diriger.

Mais disons-nous aussi qu’elle appartient à la Renaissance chrétienne. Dans cette culture générale qu’elle cherche, la science religieuse a sa place et son rang. Elle s’est nourrie des Livres saints. Elle connaît si bien saint Paul qu’elle peut le citer de mémoire ; grand nombre de ses vers ne seront que des maximes de l’apôtre traduites dans sa langue poétique. Il semble bien qu’elle ait lu saint Augustin. Cette connaissance des lettres sacrées fait l’admiration du pape Paul III lui-même qui, après l’avoir entendue, à Nice, discuter avec Sadolet et Contarini, déclare qu’il n’a jamais rencontré de grande dame « si docte et si sainte. » Et comme elle protège les lettrés, elle défendra également, sans distinguer entre eux, les partisans de l’ « Evangile. » Elle s’est attachée comme aumôniers d’Arande, puis Gérard Roussel. Elle sauvera Sébiville, en 1524 ; et c’est à elle, qu’en 1525, Farel demandera la protection de ses frères. Elle recevra à Nérac Lefèvre