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suspect, puis Calvin et Marot fugitifs ; elle s’emploiera en faveur de son poète exilé à Ferrare. Comme on comprend les hommages unanimes qui l’entourent ! Elle a pour elle tout ce qui pense, tout ce qui souffre. Gracieuse et complète incarnation de l’esprit nouveau qui s’exalte en la louant : célébrer sa royauté était presque la partager.

Ce dualisme de culture, nous le retrouverons aussi dans sa nature morale. Singuliers contrastes de cette âme si riche ! Son besoin d’agir est aussi grand que celui de savoir. Elle exaltera la foi contre les œuvres ; elle n’en fonde pas moins des hôpitaux, et à Paris même, elle songe à ouvrir un asile pour les enfans pauvres ou malades. Elle est à la fois esprit et sentiment, enjouement et gravité. Rien de moins puritain que sa croyance. S’il ne semble pas que ses mœurs aient été libres, elle ne se refuse point aux libertés de la parole ou de la plume. L’auteur du Miroir sera aussi celui de l’Heptameron. Des poètes lui envoient des déclarations ; elle y répond en petits vers. Elle badine avec l’amour. Ainsi, dans sa religion même, elle reste une femme de son temps, ou simplement, elle reste femme. Mais c’est précisément par ces élans les plus profonds de son être, ce besoin d’aimer, de se dévouer, de se détacher de tout, comme d’elle-même, qu’elle sera poussée vers le mysticisme. Quelque influence qu’ait pu exercer sur elle la direction spirituelle de Briçonnet, on peut dire que ces idées sont comme la fleur librement épanouie de cette nature exquise, sensible et tendre. Les tristesses, les désenchantemens de sa vie intime n’en firent que hâter l’éclosion. Quel secours eût-elle cherché ailleurs que dans une foi qui lui enseignait la vertu divine des larmes !

Le mysticisme de Marguerite n’est donc point seulement une conception de son esprit, mais un peu la confession de son âme. Elle se raconte dans ses poésies. Dès 1524, elle avait déjà exprimé dans un petit poème : Dialogue en forme de vision nocturne, ses idées de vie intérieure et de renaissance par la grâce. En 1531, elle publie son Miroir de l’âme pécheresse. Voilà l’œuvre où nous allons mieux saisir son évangélisme. Tel qu’il se révèle d’abord, il n’est que le développement de ces idées très simples : l’aspiration à la vie, l’impuissance de l’homme à l’atteindre, la rédemption divine opérant dans notre âme. Ce sont les lieux communs du mysticisme. Mais Marguerite leur donne un accent tout personnel.