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trop longue inertie et il traverse une nouvelle crise de neurasthénie wertherienne. Il juge que l’auteur de ce récit illustre eut tort de ne pas se tuer à l’exemple de son héros, aussitôt après avoir achevé le roman, et ces années de 1785 et 1786 lui sembleront plus tard avoir été « pires que la mort. »


I

C’est au milieu de ces traverses et de ces tristesses que se précise dans l’esprit du ministre désabusé le projet de son voyage en Italie. Il n’était jadis entré au service du duc de Weimar qu’à la condition expresse de quitter à son gré ce service et, dans la lettre du 11 août 1781, déjà citée par nous, il écrivait à sa mère : « Toutefois, croyez-le bien, le joyeux courage qui soutient ma patience et aiguillonne mon activité tient en grande partie à ce que tous mes sacrifices sont volontaires. Je sais en effet qu’il me suffirait de faire atteler des chevaux de poste pour retrouver auprès de vous une vie aisée, agréable et tous les loisirs de la liberté. A défaut de cette perspective, et s’il me fallait, aux heures difficiles, me considérer comme un esclave, comme un manœuvre obligé de suffire au jour le jour à ses besoins, bien des choses me paraîtraient plus pénibles. » Une telle sensation de liberté au besoin et à volonté est en effet très souvent nécessaire aux tempéramens nerveux tels que le sien pour soutenir un effort de quelque durée. En 1786 de même que cinq ans plus tôt, il savait pouvoir rompre à son gré ses entraves et il se décida à faire usage de cette liberté salutaire. Mais pourquoi prit-il alors la direction de Rome ?

Il a raconté dans ses Mémoires comment son père, pour qui certain voyage de jeunesse en Italie avait été le grand, peut-être l’unique événement d’une existence méthodique et compassée, déroulait fréquemment, sous les yeux charmés de ses deux enfans, ce lointain mirage. Dans les projets du conseiller Jean-Gaspard Gœthe, le jeune Wolfgang devait, ses études terminées, faire un séjour à Paris, capitale intellectuelle du monde. — On a souvent pensé et avancé parmi nous que ce séjour-là avait manqué à la formation du grand homme pour qu’elle fût plus complète encore. — Puis, après la France, l’adolescent voyageur devait se rendre dans le pays de la beauté pure immédiatement