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en outre, si l’on y tient, ce trait d’étroitesse puritaine qui marqua jusqu’au bout la mentalité de la baronne.


V

A une pareille femme, faut-il donc, avec le savant mais paradoxal professeur Engel, refuser tout à la fois la tête et le cœur, en expliquant uniquement par les prestiges de l’illusion amoureuse l’enthousiasme si prolongé de Gœthe pour cette tête et pour ce cœur-là ? Faut-il la juger, d’une part, médiocre, insignifiante et bornée parce que l’atmosphère d’une cour aurait de bonne heure étouffé toute originalité dans sa pensée ; d’autre part, dominante, acariâtre, querelleuse et parfois méchante, dans ses rapports avec sa famille aussi bien qu’avec ses amis ? — L’attaque est franche autant qu’impitoyable. Elle porterait à dépasser également la mesure dans la riposte. Efforçons-nous. d’y répondre par le seul témoignage des faits.

La valeur intellectuelle de Charlotte n’avait rien de précisément exceptionnel, nous en conviendrons tout d’abord sans ambages, mais nous ajouterons aussitôt que le goût de la culture ne l’abandonna jamais et que, toute sa vie durant, à l’exemple de son illustre ami, elle travailla en vue de meubler son esprit d’acquisitions nouvelles. L’astronomie, surtout, ne cessa d’attacher passionnément son imagination emportée vers le monde des astres : elle l’étudiait encore à quatre-vingt-deux ans dans des traités nouveaux et c’est pourquoi Gœthe, à la veille de sa propre fin, semble avoir voulu immortaliser, dans la Makarie du second Wilhelm Meister, cette disposition d’esprit de sa vieille amie. — On la voit applaudir, dans sa correspondance, à l’entreprise d’un protecteur de son fils Fritz en Silésie, le comte Hoym, qui s’est mis à travailler les mathématiques dans un âge avancé, quoique, dit-elle de façon caractéristique, il n’en puisse plus faire à son âge aucune application morale. Mais, ajoute-t-elle à ce propos, — dans une appréciation profondément gœthéenne en vérité des vertus de l’activité humaine, — « tout ce par quoi nous avons exercé ici-bas nos facultés intellectuelles nous demeure acquis pour une existence future. A tout le moins, c’est une consolante persuasion que de le penser ! » — Oui certes ! On pourrait même ajouter que c’est là une transposition, dans l’ordre purement intellectuel en effet, du paradis chrétien, créé