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A entendre Courtois, ils faisaient depuis des mois campagne contre Danton : jusqu’au bout, ils resteront ses ennemis acharnés. Avant peu, David leur emboîtera le pas. Ce grand artiste était, on le sait de reste, le moins sûr des amis, et, lié intimement jadis avec Danton, il le reniait avant même que Robespierre l’eût condamné.

Devant ces hostilités d’amis de la veille, l’excitation de Danton croissait, mais il se perdait en récriminations au lieu d’agir. Il menaçait, ne frappait pas. Rencontrant David, il l’interpella rudement sur ses palinodies : soudain, voyant passer Vadier, il se montra vivement ému : serrant le bras du peintre violemment : « Cet homme qui passe a dit de moi : Et ce gros turbot farci, nous le viderons aussi. Dis bien à ce scélérat que, le jour où je pourrai craindre pour ma vie, je deviendrai plus cruel qu’un cannibale, que je lui mangerai la cervelle et que je ch..rai dans son crâne. » Courtois, qui accompagnait Danton, le reconduisit jusqu’à sa porte : mais le tribun s’était vidé lui-même ; il s’enferma, des Tuileries à la Cour du Commerce, dans un lourd silence.

Sortant, quelques jours après, de la Convention avec Barras, Fréron, Courtois, Panis et Brune, il se heurta encore à quelques membres du Comité. Le tribun, fort animé, les entreprit sur la guerre de Vendée. « Lisez les mémoires de Philippeaux, dit-il ; ils vous fourniront les moyens de terminer cette guerre de Vendée que vous avez perpétuée pour rendre nécessaires vos pouvoirs. » Les autres prirent fort mal l’objurgation. C’étaient Vadier, Amar, Vouland et Barère, qui l’accusèrent violemment à leur tour de répandre les mémoires de l’ex-commissaire. « Je n’ai point à m’en défendre, » cria le tribun. Et il ajouta qu’il était temps de dénoncer leurs malversations, leur tyrannie. Il monterait, pour le faire, à la tribune. Ils le quittèrent sans un mot, mais on pense dans quels sentimens. Barras (qui rapporte l’anecdote) aurait dit alors à Danton : « Rentrons à la Convention ; prends la parole, nous te soutiendrons, mais n’attendons pas à demain : tu seras peut-être arrêté cette nuit. — On n’oserait pas ! » répondit-il. Puis, se tournant vers Barras : « Viens manger la poularde avec nous. » Barras refusa, mais, prenant à part Brune : « Veillez sur Danton, il a menacé au lieu de frapper. »

Ces sorties violentes, mais sans lendemain, constituaient