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bien, en effet, la pire des attitudes. Elles excitaient les ennemis qui fatiguaient maintenant Robespierre de leurs sollicitations. Un soir de ventôse, celui-ci en parut irrité. Il n’aimait point qu’on le calomniât et voulait rester maître de l’heure.

Il hésitait sur l’opportunité ; peut-être aussi un dernier scrupule l’arrêtait devant cette chose énorme : livrer au bourreau « l’homme du Dix-Août. » Mais autour de lui l’opinion s’échauffait contre Danton : très réellement, des gens sincères le tenaient pour un traître et des plus dangereux : Sylvain Maréchal, dont la probité est peu douteuse, écrira, en germinal, que l’exécution était « indispensable » de ce Danton, « dont le caractère énergique promettait un républicain à toute épreuve » et qui, maintenant, « aurait livré sa patrie au premier despote qui lui eût assuré de quoi vivre en satrape et en sybarite. » Des notes de police parvenaient à Robespierre depuis longtemps : on y lisait : « Danton et Lacroix, ces deux coquins si scandaleusement enrichis de nos dépouilles, sont notoirement complices de Dumouriez. Cependant on les laisse tranquilles. » Mallet écrira, le 8 mars, que Danton est fort menacé, « ayant à se reprocher sa vénalité, les sommes qu’il a reçues de la liste civile, une fortune scandaleuse, des connivences avec le Temple et son opposition au procès du Roi (sic). » Morris, à la même époque, écrivait à Washington que Danton avait sur la conscience « l’achat de Westermann par le roi de Prusse. » Évidemment tout remontait contre lui, griefs réels, grossis ou imaginaires, de son tumultueux passé. Et, autour de Robespierre, on s’étonnait que l’homme de la vertu ne se décidât pas à frapper le crime. « Arrachons les masques aux hypocrites, » écrit Couthon le 18 ventôse ; ne dormons jamais, poursuivons les traîtres de toutes les couleurs. »

Par ailleurs, Robespierre se sentait envahir par une peur vague. Il préparait la chute d’Hébert, mais ne voulait nullement clore la Terreur et, dans tous les propos de Danton, l’idée s’affichait qu’il fallait en finir. Des amis communs les avaient réunis, dans l’espoir que l’entente se renouerait et, loin de le combler, ces rencontres avaient élargi le fossé. En janvier déjà, chez Robespierre lui-même, une entrevue avait tourné en altercation ; Danton déplorant que la Terreur persistât, où « l’innocent était confondu avec le coupable, » Maximilien avait aigrement répondu : « Eh ! qui vous a dit qu’on ait fait périr un