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certain Alonso Fernandez de Avellaneda qui avait jugé à propos, comme l’on sait, de diffamer cruellement dans sa préface la personne et les mœurs de l’auteur qu’il prétendait continuer. Mais comment ne pas reconnaître, là encore, un trait nouveau de l’étrange fatalité d’infortune qui semble avoir pesé de tout temps sur la vie de Cervantes ? Car le fait est que la seule conséquence appréciable qu’ait eue, pour celui-ci, la prompte popularité de la première partie de son livre paraît bien avoir été cette fâcheuse contrefaçon d’Avellaneda, qui non seulement l’a forcé à improviser au plus vite la conclusion authentique de Don Quichotte, mais l’a sans doute empêché, en outre, de tirer de la vente de sa Seconde Partie tout le profit matériel qu’il en avait espéré. Pas un instant, depuis la mise au jour de son premier Don Quichotte en 1605 jusqu’à sa mort, onze années plus tard, nous ne découvrons que la vogue de son livre lui ait procuré, de la part de ses compatriotes, le moindre avantage de fortune ni, non plus, de considération ; et c’est même pendant cette période que lui sont arrivés quelques-uns des incidens les plus déplorables de sa longue carrière d’ « aventurier » obscur et besogneux, — tels que cet emprisonnement de l’été de 1605, dont la cause et les circonstances, longtemps demeurées quelque peu énigmatiques viennent enfin de nous être expliquées par une précieuse série de documens originaux.


Cervantes habitait alors, en compagnie de sa femme, de ses deux sœurs, et de sa fille naturelle Isabelle de Saavedra, une maison de la Calle del Rastro, à Valladolid. La nuit du lundi 27 juin 1605, un gentilhomme navarrais, Gaspard de Ezpeleta, fut trouvé gisant devant la porte de cette maison, le ventre percé d’un coup de rapière. Recueilli dans la maison, il mourut le surlendemain, après avoir obstinément affirmé qu’il avait été assailli et frappé par un inconnu. Cependant l’alcade Villarroel, chargé d’enquérir sur l’affaire, avait cru observer des traces d’embarras dans les réponses du moribond ; si bien qu’il avait résolu d’examiner de plus près le caractère et les allures des différens locataires de la maison. Aussitôt une foule de dénonciations lui étaient venues de tous côtés ; et en particulier une certaine veuve, connue et justement redoutée pour la rigueur venimeuse de sa pruderie, avait déclaré à l’alcade qu’à toute heure du jour et de la nuit le logement des Cervantes ne désemplissait pas de jeunes cavaliers et autres visiteurs de mauvais aloi, — en ajoutant que, du reste, personne aux alentours n’ignorait les mœurs scandaleuses de la jeune Isabelle de Saavedra. D’autre part, Villarroel avait appris que Gaspard