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Danton, plusieurs membres du Comité, Saint-Just et Billaud notamment, de ne plus prêter l’oreille aux « bavardages de quelques imbéciles. » Il devint chaleureux à l’excès. « Oublions nos ressentimens pour ne voir que la patrie, ses besoins, ses dangers... Tu verras que la République triomphante et respectée au dehors sera bientôt aimée au dedans par ceux-là mêmes qui jusqu’ici s’en sont montrés les ennemis. »

Robespierre, qui avait gardé un froid silence, répondit avec humeur : « Avec tes principes et ta morale, on ne trouverait donc jamais de coupables à punir ? — En serais-tu fâché, s’écria Danton, en serais-tu fâché, qu’il n’y ait point de coupables à punir ? »

D’après Courtois, le mot eût été prononcé à propos du cas précis du comte Loménie de Brienne, que Danton entendait arracher à l’échafaud parce qu’il « avait fait beaucoup de bien dans son département (l’Aube). » Il eût réclamé aussi la mise en liberté des 75 députés de la Droite incarcérés. Robespierre s’irrita : « La liberté ne peut s’établir qu’en faisant tomber la tête de ces scélérats, » dit-il. Alors, s’il faut en croire Courtois, Danton se fût emporté au point que les larmes lui eussent jailli des yeux. Cependant, d’après Vilain d’Aubigny, témoin de cette scène, le tribun eût, un instant après, embrassé Robespierre au milieu d’une émotion générale, Maximilien seul restant « froid comme un marbre. »

Le lendemain soir, Billaud ayant, au Comité, réclamé une dernière fois la tête de Danton, Robespierre la lui livrait. On ne pouvait cependant agir incontinent. Il fallait que l’Hôtel de Ville, débarrassé de l’état-major hébertiste, fût sans réserve entre les mains des Robespierristes. La nomination d’un maire et d’un agent national à la dévotion de Maximilien, Fleuriot et Payan, allait rassurer le Comité : avec ces gens à la tête de la Commune, aucun mouvement de la rue ne serait à craindre en faveur du redoutable suspect.

Les deux hommes se revirent une dernière fois, dit-on, mais de loin, à la première représentation d’Épicharis et Néron de Legouvé. Danton était à l’orchestre avec ses amis, Robespierre dans une loge d’avant-scène. A peine le mot : Mort au tyran ! fut-il prononcé par l’acteur, que Danton et les siens, se tournant vers la loge, applaudirent avec affectation : quelques-uns, dit Legouvé, allèrent jusqu’à montrer le poing au « dictateur. »