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Celui-ci, pâle de rage, « agitait sa petite main » d’un geste à la fois craintif et prometteur.

Cette « petite main, » dans cette semaine historique du 23 au 30 mars, dressait fort laborieusement l’échafaud de son « ennemi. » Tous les soirs, dans la fameuse chambre bleue de la maison Duplay, on eût sans doute vu Robespierre classer des fiches et rédiger des notes. Il réunissait les élémens du rapport accusateur dont, toujours prudent, il confierait la rédaction à Saint-Just. De ces fameuses notes une chose ressort clairement : L’ « ami » qui, le 14 février 1793, écrivait encore à Danton : « Je t’aime jusqu’à la mort ! » notait soigneusement, depuis des années, tout ce qui, un jour, servirait à accabler l’autre : c’était un homme prévoyant

Ces « notes, » que Saint-Just ne fera que suivre et parfois que copier, respirent une vieille antipathie : on y voit Robespierre mettre sur le même pied les boutades gauloises jadis lancées par Danton au cours de conversations amicales avec Maximilien (et dont il est ainsi prouvé que celui-ci s’était fort offusqué) et ses démarches, les plus graves d’ailleurs, presque toutes travesties. Il avait été l’ami de Mirabeau et de Lameth, en 1790 et 1791, et avait voulu entraîner Robespierre en cette mauvaise compagnie ; il avait écarté Camille de la bonne voie, mais, causant avec Robespierre, avait attribué au jeune journaliste ami « un vice honteux et privé. » Pendant son ministère, il avait laissé tripoter dans le Trésor public, par Fabre notamment. Il avait, en septembre, fait élargir Duport et Lameth, notoirement contre-révolutionnaires. Quand Robespierre lui avait offert d’ « écraser la conspiration (girondine) et d’empêcher Brissot de renouer ses trames, » il avait hautement rejeté toutes ces propositions « sous le prétexte qu’il ne fallait que s’occuper de la guerre. » Il avait, par ses intrigues, assuré « le salut du roi de Prusse et de son armée. » Il avait protégé les Girondins, et, Robespierre lui ayant mis sous les yeux les calomnies des Roland, il avait répondu : « Que n’importe ! l’opinion est une p...., la postérité une sottise. » Et ici le puritain se révoltait. « Le mot de vertu faisait rire Danton : il n’y avait pas de vertu plus solide, disait-il plaisamment, que celle qu’il déployait toutes les nuits avec sa femme. Comment un homme, à qui toute idée de morale était étrangère, ajoutait l’Incorruptible, pouvait-il être le défenseur de la liberté ? » Il aimait s’entourer « d’intrigans