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affaires totalement étrangères les unes aux autres. Il y a là Danton, Fabre, Desmoulins, Philippeaux, Delacroix, Hérault de Séchelles, accusés d’avoir voulu « rétablir la royauté, « sans qu’on semble d’ailleurs se soucier un instant d’établir leur connivence. L’accusation est si peu nourrie contre chacun d’eux qu’on a espéré, en les groupant, donner l’impression d’un complot. L’autre groupe est composé de gens prévenus de tripotages et de corruption de députés. C’est la pensée machiavélique qui, depuis des mois, se poursuit ; compromettre Danton et ses amis avec les drôles qui ont servi d’agens à la Compagnie des Indes, Chabot et ses corrupteurs ; puis enfin toute une tourbe d’intrigans étrangers, l’Espagnol Gusman, le Danois Deisderichen, les deux juifs autrichiens Frey, destinés à répandre sur les prévenus un surcroît de mauvaise odeur. Les affaires qui amènent pêle-mêle sur les mêmes bancs des hommes politiques, des financiers véreux, des agens cosmopolites, sont si différentes qu’à l’audience, elles seront traitées distinctement, sans même que Fouquier cherche à établir entre elles le moindre lien. Mais l’effet est néanmoins produit : en masse, ce sont des « fripons » et des « vendus. » Danton, s’il n’était généreux, pourrait dire comme le pauvre Anacharsis Clootz qui, huit jours avant, mené à l’échafaud dans la charrette des Hébertistes, criait au peuple : « Mes amis, ne me confondez pas, je vous en prie, avec ces coquins. »

Ainsi tout était, dans cette salle, dès cette première minute, mensonge et iniquité : les juges menacés de mort si les prévenus échappaient, les jurés choisis soigneusement avec mission de condamner et sans cesse travaillés, les avocats constitués pour trahir leurs cliens, les témoins à décharge absens, enfin les prévenus même accouplés dans le dessein de compromettre l’or pur de Desmoulins avec le plomb vil de Chabot. Oui, une parodie de justice en pleine « maison de Justice. »


La veille, les prévenus avaient subi, dans leur prison, un interrogatoire fort sommaire. Celui de Danton s’était réduit à deux questions et à deux réponses. Avouait-il « avoir conspiré contre le peuple français, en voulant établir la Monarchie, détruire la représentation nationale ? » Il avait riposté « qu’il