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voitures du Roi, ne peuvent être confondus avec de simples promeneurs et provoquent la risée du public.

La Reine nous a parlé des dangers que le Duc d’Orléans a courus en Suisse, pour s’être entêté, malgré les conseils de ses guides, à faire une excursion alpestre par un temps menaçant. Il a manqué mourir de froid et être enseveli sous la neige. Il dut passer la nuit dans une mauvaise cabane et, le lendemain, il crut devenir aveugle, tant il était ébloui par l’éclat du soleil sur la neige. Néanmoins, il a supporté tout cela avec autant de courage que de bonne humeur ; il arriva chez lui bien portant, n’ayant pas même un petit rhume de cerveau qu’il aurait bien mérité pour son entêtement.

Son voyage a donné lieu à toutes sortes de cancans. On disait qu’il allait en Suisse pour rencontrer les princesses de Wurtemberg, puis lorsqu’on a vu dans les journaux qu’elles avaient quitté ce pays avant son arrivée, on a dit qu’il s’était fait faire un costume de berger pour les suivre sous ce déguisement, les surprendre et leur offrir une rose, seul moyen de les voir, depuis que le Roi lui a fait donner sa parole d’honneur de ne pas se présenter à elles. Ce ne serait pas le Duc d’Orléans qu’elles verraient, mais un simple berger touché de leur beauté et de leur grâce ! On a raconté aussi qu’on l’avait fait voyager parce qu’il menait ici une vie trop dissipée.

Après le dîner, le Roi et ceux des invités qui avaient envie de se promener, parcoururent le parc à pied et par eau. Rien n’est plus élégant que la petite flotte de Neuilly ; il y a plusieurs frégates parfaitement bien conditionnées et une infinité de barques à l’anglaise. A la tête de cette flottille est placé un marin, officier distingué. Il donne des leçons au prince de Joinville. C’est lui qui nous engagea à monter dans sa barque ; assis à la poupe, il commanda les six rameurs qui nous firent aller comme le vent par tous les canaux d’un bras de la Seine à l’autre, sous des ponts superbes, tantôt à travers des lacs, tantôt sous des voûtes de verdure.

Nous passâmes plusieurs fois devant le château. La Reine, assise à sa table, dans son salon, vit, avec toute sa société, passer et repasser toutes ces barques dorées chargées de belles dames. Elle eut la bonté de venir à notre rencontre pour assister au débarquement. Il est impossible d’être plus gracieux qu’on ne l’est à cette Cour, on entoure les dames du corps diplomatique,