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surtout lorsqu’on est en famille, de soins et d’attentions qui chez nous autres paraîtraient exagérés. Mme de Kielmansegge, fille reconnue depuis l’année dernière seulement du banquier Gagumler, est folle de bonheur lorsqu’elle compare la position qu’elle aurait à Vienne à celle qu’elle a ici ; on l’appelle en effet l’ambassadrice de Hanovre, tandis que son mari n’est que chargé d’affaires intérimaire.

— Je crois rêver, me disait-elle dernièrement.


30 juillet. — Les journaux sont remplis de détails sur l’événement épouvantable [1] où ont failli périr le Roi, ses trois fils et l’on peut dire tout le gouvernement, car les ministres de la Guerre, de l’Intérieur, des Affaires étrangères se sont trouvés dans le groupe où quarante et une personnes sont tombées mortes ou blessées. Le cheval du Roi a été blessé à la tête, celui du prince de Joinville à la jambe. Le Roi lui-même a eu une contusion assez forte à la tête dont il ne s’est aperçu que depuis hier ; il s’en est plaint à nous hier soir. Le côté droit du front est très enflé et il en ressentait d’assez vives douleurs.

Il y a eu, hier soir et avant-hier soir, beaucoup de monde aux Tuileries. La Reine et les princesses étaient établies sur la terrasse du château. Comme il n’y avait pas de lampes et que la lune était cachée, on avait peine à se reconnaître. J’ai vu cependant Mmes de Coigny, de Wagram, de Talleyrand, de Juel, de Barante, quelques femmes de ministres, des pairs de France, des députés, des membres du corps diplomatique en uniforme ou en habit. On ne parla que du triste et horrible événement. La Reine a été de nouveau admirable dans les détails qu’elle nous a donnés sur cette affreuse catastrophe ; elle a été d’une douceur, d’une bonté touchantes, nous rappelant des dangers que les siens ont courus, sans aigreur pour ceux qui ont commis une aussi épouvantable tentative ; puis parlant des tués et des blessés, avec cette touchante compassion qu’elle a pour tous les malheureux et qui, dans ce moment-ci, a été bien plus vive encore puisque ceux dont le sang a coulé l’avaient versé pour le Roi.

Madame Adélaïde aussi nous a parlé de cet événement dans les termes les plus convenables et qui font honneur à son cœur et

  1. L’attentat Fieschi, 23 juillet 1835.