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des sources, qui dès leurs débuts se cachent, puis qui par des rigoles s’en vont vers la rivière, en arrosant des rosiers sauvages et en appelant des oiseaux. Sur la route, le village présente un rempart noir, des lambeaux de murailles disjointes, tapissées d’herbes, fleuries de coquelicots, sous le parasol immobile d’un énorme pin. Dans le couloir qui s’enfonce pendant un kilomètre jusqu’au pied du froid Larzac, le village éparpille autour d’un moulin, sur des escaliers de pierres branlantes, que le torrent du Verdus fréquemment ravage, ses masures obscures, silencieuses, touchantes d’humilité. Au delà du village, dans la gorge, il n’y a qu’un sentier. On se cogne partout au roc gigantesque et invincible.

Saint-Guilhem a connu des jours de prospérité, de réelle puissance. Pourtant, elle ne fit pas plus d’efforts pour attirer la renommée qu’elle n’en fait maintenant pour la garder. Mais la renommée l’a frappée d’une si éclatante lumière que son nom seul évoque, loin même de mon Languedoc, à l’esprit des moins initiés, quelque chose d’un âge pittoresque, un peu étrange, plein de noblesse.

L’abbaye de Gellone, à la limite des deux diocèses de Lodève et de Maguelone, fut fondée en 804 par l’émule de Roland comme guerrier, de saint Benoît comme religieux, par Guillaume, duc d’Aquitaine, marquis de Septimanie, cousin et ami intime de Charlemagne, si populaire dans nos chansons de gestes sous les noms de Guillaume d’Orange, Guillaume Fiérabras, Guillaume au Court-nez. Après avoir guerroyé sur toutes les terres, pour la défense de la foi contre l’Islamisme ainsi que contre l’Empire, Guillaume vint en cette Thébaïde cévenole reposer son âme, s’adonner à la prière et à l’étude. Son abbaye attira les chefs les plus illustres du royaume de France : Hardinge, frère de Charles le Simple ; Juliofred, neveu de Charlemagne ; le comte Gérard, Gasfred, Raymond et Hugues III de Fozières, Guillem de Montpellier, etc., et les premiers barons de la noblesse féodale, jusqu’à Pons de Lazare, l’un des routiers les plus cupides et les plus féroces, qui sur le tombeau du saint demanda le pardon de ses péchés et de ses crimes.

Avant de mourir, saint Guillem put assister à la fondation d’un couvent de femmes, que ses sœurs organisèrent auprès du sien. L’abbaye conserva son prestige jusqu’en 1790. À cette époque, les envoyés du district partagèrent entre les gens du