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diocèse réputé difficile où il y avait à organiser et à réformer. Réformateur, administrateur ferme et sévère, inflexible sur la tenue extérieure et morale de son clergé, soucieux aussi de celle des églises et s’intéressant déjà à la musique sacrée, tel il apparaît à l’évêché de Mantoue, comme à Venise, et, plus tard, à Rome. Il est créé patriarche de Venise en juin 1893, en même temps qu’il reçoit le chapeau. Mais il ne vint occuper le siège qu’au mois de novembre de l’année suivante. Une longue contestation avec le gouvernement italien, qui réclamait pour lui un antique droit souverain sur la nomination du patriarche, se dénouait par un accord de fait sur le choix du Saint-Siège, En revanche, le Saint-Siège remplaçait des Lazaristes français par des capucins italiens dans la Mission de l’Erythrée.

L’entrée solennelle dans Venise qui l’acclame, par le Grand Canal pavoisé, c’est sans doute le plus beau jour dans la vie de Giuseppe Sarto, c’est celui où il ne pleura point. Le siège patriarcal de Saint-Marc est pour le paysan de Riese l’échelon suprême, inespéré, de cette carrière ecclésiastique toute vénitienne dont il a gravi les autres par une ascension continue à l’ombre du campanile qui domine et borne son horizon. Ce campanile qu’il pouvait distinguer jadis par les temps clairs de son pays de terre ferme, il l’a vu crouler un jour, et cette chute a pris pour lui, comme pour le peuple de Venise, les proportions d’un cataclysme historique. Il n’a pas vu celui qui a été relevé à sa place ; il envoya sa bénédiction de Rome, pour la Saint-Marc de 1912, après avoir voulu payer la refonte des cloches du carillon. Pour la Saint-Marc de 1903, bien peu de temps avant de perdre des yeux cet horizon, il avait béni la première pierre et prononcé à cette cérémonie officielle, que présidait un prince de la maison de Savoie, un discours patriotique et religieux, très significatif de ses sentimens vénitiens et italiens.

A Venise, il a pu concevoir et pratiquer une politique qu’il a favorisée depuis chez les catholiques d’Italie. Le jour de son entrée, sur le Grand Canal, un édifice n’était pas décoré, celui du municipe anticlérical. Quelques mois après, les élections substituaient à celle-ci une municipalité « clérico-modérée, » à l’avènement de laquelle le patriarche ne s’était pas caché de travailler. Il commençait à Venise des choses qu’il devait pousser plus loin sur un plus vaste théâtre : réforme de la musique, de la discipline, guerre implacable aux nouveautés. Dans les rapports