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incomparable, il ne confiait qu’aux Latins le soin de ses plus grandes affaires, comptant avec juste raison sur leur dévouement et leur vigueur. Comme ils étaient fort bien traités par lui et qu’il ne cessait de leur prodiguer les témoignages de son extrême libéralité, nobles et roturiers accouraient de tous les coins du monde vers celui qui se montrait leur plus grand bienfaiteur [1]. »

Ce Manuel Comnène avait fait épouser à son fils Alexis une sœur de Philippe-Auguste, Agnès de France, qui fut impératrice sous le nom d’Anne. Plus tard, une Anne de Savoie, mariée à un Paléologue, contribua beaucoup à la décadence finale de l’empire et au progrès des Turcs en Europe [2]. Manuel II vint à Paris au temps de Charles VI, en l’année 1400 ; ses deux fils Jean VIII et Constantin, qui furent les deux derniers empereurs de Byzance, épousèrent des princesses latines.

Mais le peuple et le clergé de Constantinople ne comprirent jamais cette politique des empereurs ; le peuple détestait dans le latinisme le souvenir de l’assaut et du pillage du 12 avril 1204, il méprisait les « Barbares » d’Occident et les « idolâtres » de Rome et se croyait seul dépositaire de la foi et de la civilisation. A plusieurs reprises, de sanglantes émeutes, encouragées par le clergé ou conduites par quelques ambitieux qui exploitaient les passions de la foule, éclatèrent contre les Latins. Ce fut bien pire quand Jean VIII Paléologue, en 1439, vint au concile de Florence, accompagné du patriarche Joseph et suivi du somptueux cortège que Benozzo Cozzoli a représenté dans la charmante fresque du Palais Riccardi, et proclama l’union des deux Églises. Au mois de décembre 1452, tandis que l’empereur Constantin XI faisait célébrer à Sainte-Sophie une fête solennelle, en l’honneur de la fin du Grand Schisme, où le Cardinal Isidore, légat du Pape, et le Patriarche Grégoire, officièrent en commun en présence du Basileus et de sa cour, la foule, hors de l’église, excitée par l’agitateur Gennadios, par les moines et le bas-clergé, ne cessait de crier : « Mort aux Azimites et à leur idolâtrie ! » Le parti antiromain trouvait de hauts appuis parmi les premiers personnages de l’empire. Qu’avaient besoin les fils dévots de la toute-puissante Panagia du secours du Pape et des

  1. Voyez les très intéressantes Figures byzantines de M. Diehl ; 2e série, p. 111 (1 vol. in-16 ; Colin).
  2. Ibid., p. 243.