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prince byzantin, Cantacuzène, marier sa fille Théodora au Sultan turc de Nicée, Orkhan. On vit même un fils du Sultan Bajazet, laissé en otage à Constantinople, y devenir l’ami du prince Jean, le futur Jean VIII, se convertir spontanément et mourir chrétien en 1418. Depuis 1390, les Turcs étaient déjà si nombreux à Constantinople que le Basileus leur avait accordé une mosquée et un cadi. Les Turcs avaient adopté certaines coutumes ou mœurs de la civilisation grecque, et réciproquement ; il y avait eu même des projets d’alliance politique ; les Grecs de Byzance, surtout depuis qu’ils avaient perdu leurs provinces d’Europe et d’Afrique, étaient devenus des Orientaux : n’eût été la religion, ils se fussent trouvés, sans doute, moins loin de Mahomet et de ses Turcs que des « Francs » de l’Occident et de leur Pape.

L’étude des rapports de l’empire byzantin avec la catholicité occidentale jette une vive lumière sur les derniers jours de Byzance. La ville des Césars, dans les deux derniers siècles de son histoire, est redevenue, comme au temps de Constantin, une cité gréco-latine. Même après la chute de l’empire latin fondé par les Croisés en 1204, l’influence de l’Occident méditerranéen alla grandissant. En Occident était la force militaire. Les Génois et les Vénitiens se partageaient le commerce de la Méditerranée orientale ; leur mercantilisme avait dénaturé l’esprit de croisade ; ils avaient des colonies dans tous les ports du Levant. La chrétienté d’Occident, au XIIIe et au XIVe siècle, développait les principes de vie que le catholicisme latin avait déposés en elle ; une civilisation originale, dans tout l’éclat de sa forte jeunesse, s’y épanouissait et faisait resplendir les lettres et les arts. L’Orient, au contraire, séparé par le schisme de cette grande source de vie et de progrès, se repliait sur lui-même, s’étiolait dans un particularisme étroit, s’enfermait dans une civilisation figée et hiératique. Les plus intelligens des empereurs de Byzance avaient compris la nécessité de rajeunir le Byzantinisme ; plusieurs d’entre eux épousèrent des princesses latines ; ils favorisèrent le développement de la colonie génoise de Galata. « Sous le règne de l’empereur Manuel, aimé de Dieu, écrit Guillaume de Tyr, le peuple latin avait trouvé auprès de lui le juste prix de sa fidélité et de sa valeur. L’empereur dédaignait ses petits Grecs comme des hommes mous et efféminés et, ayant lui-même de la grandeur d’âme et une bravoure