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seraient obligés d’intervenir. Trois jours après, la ville était prise ! Le roi d’Aragon, qui, par avance, réclamait l’île de Lemnos, n’expédia aucun secours. Le despote de Serbie, Georges Brancovitch, envoya au Sultan une ambassade pour le rassurer sur ses intentions. La flotte vénitienne tarda à se montrer dans les parages de l’Archipel ; il fallut toutes les instances et les subsides du Pape pour la décider à faire voile ; vingt ou trente navires sous les ordres de Messire Jacques Loredan étaient arrivés à Chio, où, depuis un mois, ils attendaient des vents favorables, quand la nouvelle du désastre leur parvint. Ce secours aurait sauvé Constantinople. Malgré son immense supériorité numérique, l’armée du Sultan désespéra plusieurs fois du succès. Avant l’assaut final, le grand-vizir Khalil Pacha, qui avait toujours été opposé à la guerre, conseilla de lever le siège. Il montrait avec insistance les Hongrois, les Vénitiens menaçans. Il est très probable que, si un secours de quelque importance fût venu renforcer les assiégés, la ville eût réussi, cette fois encore, à repousser les assaillans.

Aucun secours ne parut, et la ville succomba. Le dernier chapitre de M. Schlumberger décrit dramatiquement le massacre et le pillage qui suivirent. A cette époque, dans toute l’Europe, le cri de « Ville gagnée l’ « annonçait toujours un pillage, souvent un massacre. Avant l’assaut, le Sultan avait promis à ses soldats trois jours de pillage ; tout ce que contenait la cité impériale, hommes, femmes, enfans, richesses devrait être le butin des vainqueurs. Cette promesse fut accueillie, dans le camp turc, par d’immenses acclamations. L’archevêque Léonard de Chio, qui les entendit, en demeurait terrifié : « Oh ! si vous eussiez entendu comme nous leurs cris incessans, dit-il dans sa relation, en vérité, vous vous seriez émerveillés ! » Après un aussi long siège et si difficile, la fureur des assaillans, qui avaient subi de très grandes pertes, s’était exaspérée, d’autant plus que d’imprudens Grecs, assurément de ceux qui avaient soin de se tenir le plus loin du combat, leur lançaient du haut du rempart des injures et des invectives. Il n’est donc pas étonnant que l’entrée des vainqueurs ait été ensanglantée par des massacres, d’autant plus qu’à côté des troupes régulières, l’armée du Sultan comptait des corps nombreux de Bachi-Bozouks.

On tua surtout les vieillards, qui n’avaient pas de valeur marchande, et on réserva pour l’esclavage les plus jeunes. Ce