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pour s’en convaincre, il suffit de parcourir les documens officiels qui viennent d’être tirés de nos Archives. Ils nous fournissent à tout instant, dès le début de la crise danoise, des preuves de la duplicité du ministre prussien.

En 1864, tandis qu’il se réjouit ouvertement d’être « sur le pied d’une alliance croissante avec l’Autriche » et d’avoir dissipé un dissentiment qui s’était élevé entre elle et la Prusse, à propos d’un traité de commerce, il dit à l’un de ses confidens : « Je la ménage un peu sur ce point pour qu’elle me laisse les mains plus libres dans les duchés. D’ailleurs, nous sommes d’accord sur les grands principes, et, si quelque incident nouveau soulève momentanément une discussion entre nous deux, ce ne sera qu’une dissidence passagère et de courte durée. Pour toutes les grandes affaires, nous marchons et nous marcherons ensemble. » Lorsqu’on se rappelle ce qui s’est passé en 1866, on ne peut lire ces propos sans stupéfaction et ne pas se demander si, dès ce moment, Bismarck ne jouait pas une comédie vis-à-vis de son alliée. Comment pouvait-il supposer que l’Autriche lui laisserait les mains libres pour faire dans les duchés ce qu’il se proposait d’y faire, c’est-à-dire s’approprier non seulement ce qu’on lui laisserait prendre, mais encore ce qu’il saurait prendre si, d’aventure, on le lui refusait ? Assurément il est plus sincère lorsque, après avoir constaté que sur certains points il est d’accord avec l’Autriche, il ajoute : « Le temps fera le reste. La mission de la Prusse est de s’étendre. Nous devons toujours y penser. Il faut que nos prévisions soient vastes, qu’elles aient un large horizon. »

D’autres aveux justifient plus formellement encore l’affirmation de Rothan. A propos du désir exprimé à la même époque par le roi de Prusse de se rencontrer avec l’empereur Napoléon, Bismarck révèle à un confident que cette entrevue, si elle a lieu, n’aura pas pour objet « de conclure une alliance sérieuse avec la France. « Une telle alliance serait, selon lui, sans efficacité et il constate avec satisfaction que le souverain français se trouve en ce moment complètement isolé en Europe, ainsi que le démontre le piteux avortement de son projet de congrès. Si le roi de Prusse cherche à se rencontrer avec Napoléon, « ce n’est que pour rendre l’Autriche plus souple en lui montrant qu’il ne dépend que de nous de marcher d’accord avec le Cabinet des Tuileries. »