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Les desseins que traduit ce langage éclatent ainsi en plusieurs circonstances entre lesquelles l’historien n’a que l’embarras du choix. En voici une encore qui mérite d’être rappelée. A peine l’Autriche et la Prusse sont-elles entrées dans les duchés que l’on constate une différence sensible dans l’attitude des deux Puissances. Autant l’Autriche se montre modérée, autant la Prusse se montre ardente dans ses revendications contre le Danemark. L’Angleterre ayant offert sa médiation et demandé qu’un armistice soit conclu pour permettre la réunion d’une conférence à laquelle seraient soumises les prétentions réciproques des belligérans, l’Autriche se rallie à ce projet et se déclare résolue à soutenir le principe de l’intégrité de la monarchie danoise. La Prusse, au contraire, signifie qu’elle n’en veut tenir aucun compte et que la conférence ne l’empêchera pas de continuer la guerre jusqu’à ce que le Danemark ait accepté les conditions qu’elle veut lui imposer. Ce qui est plus grave encore, c’est que les dispositions conciliantes de l’Autriche n’exercent aucune influence sur la marche des événemens et qu’en dernière analyse, c’est la politique de la Prusse qui ne cesse de prévaloir, au grand regret de l’Europe qui s’inquiète et se demande si les contradictions qu’on remarque dans les allures de l’un et de l’autre allié sont feintes ou réelles. Personne ne veut admettre « qu’ils aient mobilisé quatre-vingt mille hommes, dépensé beaucoup d’argent et de sang, » uniquement pour imposer au Danemark des réformes dans les duchés, et on commence à les soupçonner, la Prusse surtout, de vouloir purement et simplement s’annexer ces pays.

Il est donc vrai que Bismarck dans toute sa conduite nous a montré ce que peuvent une volonté énergique aux prises avec l’indécision d’autrui. A la marche irrésolue et capricieuse du gouvernement français, à l’inertie de l’Angleterre, il a opposé l’activité audacieuse et réfléchie d’un homme d’Etat qui, s’étant proposé un but, déploie pour l’atteindre la prévoyance, la persévérance, la dissimulation et, pour tout dire, l’esprit de ruse poussé jusqu’à la perfidie.

Ce qu’il poursuit de longue date avec une indomptable ténacité, c’est la substitution en Allemagne de la prédominance prussienne à la prédominance autrichienne ; il entend que de Vienne la couronne impériale passe à Berlin. Il ne craindra pas de déclarer que « c’est par le fer et par le feu que doit