Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opérer un rapprochement entre la Russie et la République ; mais c’est moins pour rendre service à celle-ci que pour servir ses propres intérêts en créant une ligue contre ce qu’il ose appeler « l’incalculable avidité de l’Autriche et de l’Angleterre, » comme si lui-même n’avait pas témoigné d’une égale avidité en prétendant à une part des conquêtes qu’elles espéraient faire. Talleyrand, qui a recouru à l’intermédiaire du Cabinet de Berlin pour ouvrir des négociations avec la Russie, ne se trompe pas sur ce qu’il peut attendre de la Prusse et ne compte guère sur son bon vouloir : « Nous ne pouvons douter, écrit-il, que son intermédiaire ne soit pas moins officieux au fond qu’en apparence. » Il sait que si l’Autriche a espéré, durant la période révolutionnaire, profiter des malheurs de la monarchie française pour mettre la main sur l’Alsace, sur la Franche-Comté et même sur la Provence, le roi de Prusse s’est flatté d’avoir sa part dans ces conquêtes.

Déçu de ce côté, l’ambitieux monarque, au cours des années qui suivent, reste en paix avec Napoléon, et son attitude lui vaut de notables agrandissemens de territoire. Aussi se garde-t-il bien de prendre part à la levée de boucliers, entreprise contre la France à la fin de 1805, par la Russie et l’Autriche. Sa conduite en cette circonstance donne la mesure de sa duplicité. Il commence par déclarer que, dans la guerre qui s’engage, il restera neutre, mais, en même temps, il conclut avec Vienne et Saint-Pétersbourg un traité secret d’alliance qui, dans sa pensée, n’aura d’effet, que si, comme il le souhaite. Napoléon est vaincu. Brusquement le canon d’Austerlitz déjoue ses calculs. Napoléon est maître de Vienne et c’est au palais de Schœnbrunn où il s’est installé qu’il reçoit dans le cabinet de Marie-Thérèse les félicitations que le ministre prussien Haugwitz lui apporte de la part de son maître. L’Empereur les prend pour ce qu’elles valent. — « Voilà un compliment dont la fortune a changé l’adresse, » dit-il en raillant.

Néanmoins, il propose à son interlocuteur, qui l’accepte aussitôt, un traité d’alliance. Porté à Berlin, ce traité est ratifié par le Roi, malgré la convention qu’il a conclue avec la Russie et l’Autriche. Mais il existe à Berlin un parti de la guerre où figurent la reine Louise, son beau-frère le prince Ferdinand, de vieux généraux comme Brunswick, Blücher, Hohenlohe et autres. Ce parti s’indigne à la pensée que les Français feront la