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homme. C’est la confession d’un officier français. Pour nous en faire comprendre tout le sens et mesurer toute la portée, les circonstances viennent à notre aide : il n’est que de la mettre en regard de cette « Confession d’un officier prussien » que M. T. de Wyzewa analysait ici même, il y a un mois, dans un article si saisissant. On se rappelle en quels termes il décrivait, d’après l’auteur allemand, ce pesant esclavage matériel et moral qu’est la vie militaire chez nos ennemis, cet étouffement de l’individualité personnelle chez l’officier, cette déformation de l’idée de l’honneur, ce splendide isolement où se tient l’armée en dehors de la nation, cette haine de la caserne qui vient au soldat de l’horreur qu’il ressent pour le traitement infligé par ses chefs. Prenez exactement le contre-pied, vous aurez Pingot et son lieutenant. Le trait caractéristique est ici le parti pris chez l’officier de jeter par-dessus bord la formule de l’obéissance passive, aujourd’hui vieillie et mal en accord avec les mœurs modernes, et de la remplacer par celle de l’obéissance volontaire. Plus l’officier excellera à ce rôle pour ainsi dire persuasif, et plus grand sera l’effort que, dans un moment critique, il pourra demander à ses hommes. Cette confiance, comment l’inspirer, sinon par l’exemple ? De là vient que l’officier soit tenu plus qu’un autre à une conduite irréprochable : il vit en quelque sorte sous l’œil de tous ceux qui dépendent de lui et qui ont besoin d’estimer celui qui les commande. Ce qu’il faut ensuite, c’est qu’il pénètre dans l’âme de ces simples, qu’il étudie les mobiles qui les font agir, les ressorts qu’on peut faire mouvoir chez eux, qu’il les traite non pas comme des machines à obéir, mais comme des êtres humains, qu’il se considère comme leur frère aîné, qu’il remplisse vis-à-vis d’eux son devoir d’aînesse. Art Roë n’hésite pas à dire que l’officier a charge d’âmes. Dans une vision humoristique, il imagine qu’au jour du jugement dernier il aura à répondre pour tous ceux dont il aura peu ou prou été le lieutenant. Ils seront là quinze cents dans la vallée de Josaphat qui diront : « C’est la faute du lieutenant. Il ne nous a pas punis au bon moment ; il a été trop sévère, il a été trop bon ; il ne nous a pas donné de conseils, il nous a donné de mauvais exemples. » Donc il se penche sur la psychologie de ces humbles ; il pratique à leur égard la véritable sympathie, non celle qui est un vain apitoiement de littérateurs, mais celle qui est une vertu efficace et agissante. Il en est tout de suite récompensé. Ce sont de si braves gens ! « Combien je préfère nos pauvre ? troupiers à ces poussahs dont la société est pleine, et comme leur contact est plus sain ! » Il en est récompensé par ce