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désir de le satisfaire qu’il constate chez tous ses hommes : s’il tombe sur Pingot quelque punition, ce n’est pas d’être puni qui le chagrine, c’est d’avoir mécontenté son lieutenant. Ainsi s’établit du haut en bas de la hiérarchie ce lien créé par l’affection réciproque, cette communion qui fait vraiment de l’armée, — suivant un mot dont la signification ne se révèle tout entière qu’aux heures décisives, — une grande famille, et de tous ceux qui, chacun à sa place, y occupent leur poste, des frères d’armes.

Ce livre a aujourd’hui vingt et un ans de date. Il plut, dans sa nouveauté, par sa saveur originale et par son entrain juvénile. Je viens de le relire. Il a gardé tout son charme ; il a pris une valeur que lui ont ajoutée les événemens. Il restera comme un témoignage à l’honneur de cette armée dont il reflète si fidèlement l’âme généreuse.

Sous l’étendard appartient à la même veine. C’est encore un « journal. » La suscription qui le situe au « camp de Cercottes » indique bien l’intention de l’auteur. Il a voulu étudier ce phénomène, atavique et moderne, qui fait que chaque année, à une époque fixée par les règlemens, des hommes cultivés sortent de la ville pour s’en aller camper dans les champs et vivre là d’une manière demi-sauvage, qu’ils y emportent avec eux leur devoir, qu’ils s’y exercent ensemble et s’y trouvent heureux. Mais ici, plus que dans Pingot et moi, l’idée de l’objet vers lequel tend toute l’organisation de l’armée, — la guerre, — est plus intimement mêlée au récit. On y entend, en maints endroits, gronder le canon. Aussi l’enchaînement est-il tout naturel qui amène l’auteur à méditer sur certains épisodes de notre histoire militaire. Si près des champs qu’a illustrés l’héroïsme de Sonis, comment résisterait-il à la tentation d’y faire un pieux et douloureux pèlerinage ? Il y a dans l’aspect des lieux, dans les souvenirs des survivans, une vertu évocatrice d’une rare puissance. On lit, le cœur étreint par l’angoisse, ces pages, si simples, si dénuées de tout ce qui vise à l’effet et pourtant d’un effet si intense, où l’officier qui parcourt le terrain même où se livra la bataille de Loigny et en interroge chaque repli, fait revivre à mesure tout l’effort, tout l’héroïsme déployés par les nôtres devant ce village perdu pour cette entreprise désespérée... Mais déjà cette manière anecdotique et personnelle de traiter un sujet d’histoire ne suffisait plus à Art Roë. L’ambition lui venait d’être l’historien qui ne hasarde pas une ligne dont la vérité ne lui soit garantie par un document. Il a fait de L’Assaut de Loigny, qui termine le volume, un modèle de récit d’histoire militaire. Il y a mis tout à la fois l’érudition du chercheur, la science du technicien, le