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Est-ce la Russie d’autrefois qui mit l’auteur de Racheté sur le chemin de la Russie moderne ? N’est-ce pas plutôt le courant de nos alliances qui l’entraîna, éveillant son attention sur cette armée russe appelée à combattre avec la nôtre dans la guerre future ? Ce qui est certain, c’est que, dès l’année 1897, et quoiqu’il s’en défende, il eut le pressentiment de l’avenir et fut à son heure un précurseur. Il eut la curiosité de connaître le régiment qui, en Russie, correspondait au sien. Il alla le chercher dans sa garnison de Rovno, parmi les boues de Volhynie. Il y vécut, cœur à cœur, avec les camarades de là-bas : Patrice Mahon était devenu Patriki Veniaminovitch. Il a retracé dans Mon Régiment russe ce séjour au milieu d’une armée alliée et amie. C’est là éminemment un livre d’avant-garde : « Détaché du rang, je deviens soldat d’avant-postes : grâce au mot d’ordre européen, je franchis les lignes allemandes, je parais dans le camp russe en hôte et en ami. Ainsi ma présence ici tient à de bien plus grandes choses, et je pourrais me flatter de porter sur moi un signe des temps... Remplir de mon mieux un rôle d’éclaireur, regarder, interroger, lire, étudier, observer, comparer, puis écrire dans ma langue ce que j’aurai écouté dans celle-ci, révéler à l’armée dont je suis quelque chose de l’armée d’ici, c’est l’œuvre nouvelle à laquelle je me réjouis d’être appelé. » Une amitié précieuse devait l’aider puissamment dans cette tâche, celle du général Dragomirov qui, séduit par cette nature d’élite, l’avait pris en sympathie et avait fait de lui quelque chose comme son aide de camp français. Patrice Mahon ne devait-il pas, quelque temps plus tard, se retrouver aux côtés de Dragomirov, lorsque celui-ci vint rendre visite à notre état-major ? La personnalité si originale de celui qui a été le réformateur de l’armée russe, et qui en a créé en partie l’organisation actuelle, domine tout le livre. Le général révèle à son interlocuteur français sa méthode, les principes dont il s’est inspiré dans son œuvre. Ces dialogues militaires sont d’un intérêt passionnant. Si je les ai mal compris, on pardonnera à un profane ; mais, à ce qu’il me semble, l’idée qui s’en dégage est toujours celle sur laquelle Napoléon ne se lassait pas de revenir : que la plus grande qualité pour un chef d’armée, c’est le bon sens.

On m’excusera pareillement de passer sur les détails techniques, dispositions, formations, et le reste, et d’aller de préférence aux parties descriptives. Nous tous qui, à l’heure où j’écris, consultons anxieusement l’horizon pour y apercevoir l’avance des troupes russes, regardons-les manœuvrer dans le livre d’Art Roë. Demandons à un témoin le secret de l’aide puissante qu’elles nous apportent. « Rien