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il a été une douzaine d’années chancelier de l’Empire et, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, il a dirigé la politique de son pays avec habileté et énergie. On sait comment il a perdu la confiance et la faveur de son maître. Un jour, l’Allemagne a trouvé que l’Empereur parlait trop et M. de Bülow n’a pas caché que c’était aussi son sentiment. L’Empereur ne lui a su aucun gré de sa loyale franchise et, à la première occasion, qui ne s’est pas fait attendre, il l’a laissé choir sous un vote du Reichstag. Depuis lors, le prince de Bülow passe la plus grande partie de son temps à Rome. D’acteur qu’il était, il est devenu simple spectateur, mais il n’a pas cessé de suivre avec une grande activité d’esprit les affaires de l’Allemagne et du monde et, n’ayant plus à les conduire, il en donne volontiers son avis. Son livre, toutefois, a un caractère rétrospectif. C’est la politique de l’Allemagne pendant qu’il était chancelier que M. de Bülow expose ; mais les lignes directrices de la politique allemande n’ont pas changé depuis qu’il a quitté la chancellerie impériale et, tôt ou tard, une politique qui visait à l’hégémonie mondiale et pratiquait systématiquement l’égoïsme le plus étroit, le plus implacable, sans tenir aucun compte de l’intérêt des autres et pas davantage de leur dignité, devait aboutir à la guerre générale. L’erreur de la politique allemande a été de croire qu’on n’oserait.

Le livre se divise en deux parties. Nous ne parlerons aujourd’hui que de la première, qui traite de la politique extérieure. Quelle en est la préoccupation dominante ? Bien que M. de Bülow passe en revue toutes les nations de l’Europe et parle même de l’Amérique et du Japon, c’est surtout l’Angleterre qu’il a en vue ; c’est de son côté qu’il se tourne le plus souvent avec inquiétude, comme s’il sentait que là est le danger pour les nouvelles ambitions de son pays. Et sans doute il se préoccupe aussi de la France et de la Russie, mais il semble prendre moins d’ombrage de leurs desseins. Pour en bien comprendre le motif, il faut remonter assez loin avec lui dans notre commune histoire.

M. de Bülow ne dissimule pas que l’entrée en scène de l’Allemagne, en 1864, en 1866, en 1870, avec les succès rapides et décisifs d’où est sortie sa grandeur, n’a pas été vue avec beaucoup de faveur par les vieilles grandes Puissances qui ont été troublées dans leur quiétude et ont senti qu’une rivale