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dit M. de Bülow, qui suivirent le projet de loi sur la marine et le début de nos constructions de vaisseaux, une politique anglaise résolue à tout eût sans doute été en mesure d’arrêter net le développement maritime de l’Allemagne, et de nous rendre inoffensifs avant que nos serres eussent poussé sur mer. » Il fallait donc endormir les préoccupations de l’Angleterre et faire pourtant ce qui les justifiait. Problème ardu ! M. de Bulow n’en diminue pas les difficultés, et rien n’est plus curieux que les pages où il les expose et même les étale : mais il se flatte de les avoir résolues. « Pour nos intérêts, écrit-il, comme pour notre dignité et notre honneur, il nous fallait tâcher de conquérir à notre politique dans le monde l’indépendance que nous avions assurée à notre politique en Europe. L’accomplissement de ce devoir national pouvait être rendu plus difficile par la résistance éventuelle de l’Angleterre, mais aucune résistance au monde ne pouvait nous en dispenser. » L’Allemagne est donc allée de l’avant. L’Angleterre, qui répugne à la guerre et ne la fait qu’à la dernière extrémité, s’est contentée de renforcer ses propres armemens. A diverses reprises, elle a essayé de s’entendre avec l’Allemagne pour une limitation qui serait observée de part et d’autre : l’Allemagne a passé outre et n’a voulu rien entendre. Elle semblait actionnée par une volonté supérieure. La fatalité s’en mêlait. « Il le fallait ! » dit M. de Bulow. L’Angleterre, comme cela lui arrive parfois, a laissé passer plus d’une occasion favorable : l’amour de la paix l’emportait toujours chez elle. Aussi le moment est-il enfin venu où l’Allemagne a jugé que son œuvre était terminée, ou du moins assez avancée pour lui permettre de jeter le masque. Rappelant avec satisfaction les traits adroitement équilibrés d’une politique qui lui a permis, sans être l’amie de l’Angleterre, ce qui l’aurait fait tomber sous sa dépendance, de n’être pas non plus son ennemie, ce qui aurait dès le premier moment paralysé son effort, « c’est ainsi, dit M. de Bülow, que nous avons réussi en fait, sans être inquiétés ni influencés par l’Angleterre, à créer cette puissance maritime qui donne une base réelle à nos intérêts économiques et à nos projets de politique mondiale, puissance telle, que l’attaquer semblerait une grave témérité, même à l’adversaire le plus fort. » Les « serres » avaient poussé suffisamment.

Est-ce bien sûr ? On vient de voir que l’Angleterre a eu la grave témérité qui paraissait impossible à M. de Bülow. N’a-t-il