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pas lancé un peu trop tôt, un peu trop haut, son cri de triomphe ? Où est la flotte allemande en ce moment ? Elle se cache dans les ports, les fleuves, les canaux ; elle se couvre prudemment par des torpilles et des mines flottantes ; elle reconnaît donc la supériorité persistante de la flotte britannique. M. de Bülow a-t-il cru que l’Angleterre, à l’occasion, n’userait pas de cette supériorité ? Ce n’est cependant pas qu’il ait méconnu les intérêts de l’Angleterre dans une question qui est vitale pour elle, ni qu’il se soit mépris sur ce que sa politique a de résolu, d’inflexible, de permanent. Les pages qu’il a écrites à ce sujet sont parmi les meilleures de son livre : nous voudrions pouvoir les citer tout entières, mais nous sommes obligé d’abréger.

« Il n’y a pas, dit-il, d’État au monde dont la politique se meuve aussi imperturbablement que la politique anglaise dans des voies traditionnelles. C’est à cette continuité séculaire de sa politique extérieure, demeurée indépendante du changement des partis au pouvoir, qu’elle doit ses grandioses succès sur la scène du monde. L’alpha et l’oméga de toute politique anglaise fut de tout temps la poursuite et le maintien à son profit de l’empire des mers. L’intérêt que prend l’Angleterre au groupement des forces sur le continent européen ne vise pas seulement l’avantage et le bien-être des Etats qui se sentent opprimés ou menacés par la supériorité d’un seul d’entre eux. Une telle sympathie humanitaire et désintéressée exerce rarement une influence prépondérante sur les résolutions politiques du gouvernement d’un grand Etat. Pour la direction de la politique anglaise, ce qui sert de guide, c’est la répartition des forces en Europe et sa répercussion sur la maîtrise anglaise de la mer. Tout déplacement de puissance n’ayant aucune conséquence à cet égard a toujours été assez indifférent au gouvernement anglais. Si l’Angleterre, par tradition, c’est-à-dire conformément à ses immuables intérêts nationaux, se montre hostile, ou tout au moins défiante vis-à-vis de la nation européenne qui se trouve être la plus forte, le motif en est avant tout dans la signification qu’elle attribue, en ce qui concerne la politique maritime, à la supériorité des forces sur le continent. » Il y a beaucoup de vrai dans ce jugement. Aussi longtemps que l’Allemagne n’a usé de sa force que pour établir sa prépondérance sur le continent, l’Angleterre est restée impassible, immobile. Mais, à dater du moment où l’Allemagne