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Ce n’est pas par notre incontestable amour de la paix que ce fait s’explique. L’Allemand a toujours eu l’esprit pacifique, et pourtant il a sans cesse été réduit à prendre les armes, parce qu’il lui fallait se mettre en défense contre une attaque étrangère. En réalité, la paix s’est maintenue surtout, non parce que les Allemands se sont abstenus d’attaquer d’autres nations, mais parce que d’autres nations ont craint la riposte allemande à leur propre attaque. Nos puissans armemens ont été une garantie de paix telle que n’en ont pas connue les derniers siècles, en proie à toutes les agitations. Un jugement historique ressort de cette constatation... »

Mais nous nous abstiendrons de reproduire le jugement historique de M. de Bülow. Il a parlé trop vite ; l’histoire se poursuivait, elle se poursuit encore ; on a pu voir ce qu’il fallait penser de l’esprit pacifique de l’Allemagne, lorsqu’elle a déclaré, à vingt-quatre heures d’intervalle, la guerre à la Russie et à la France et qu’elle l’a déchaînée dans toute l’Europe. L’histoire n’a pas porté son jugement, elle le prépare.

Pour revenir aux rapports des deux pays, on ne comprend guère, quand on a lu M. de Bulow, les illusions que l’Allemagne a pu garder sur l’inertie apparente de l’Angleterre. M. de Bulow a exposé en effet avec une admirable clairvoyance les motifs que l’Angleterre avait de s’opposer à l’ambition allemande sur mer en la frappant sur terre, et cependant ni lui ni son successeur, M. de Bethmann-Hollweg, n’ont pourtant paru croire que l’Angleterre, fidèle à ses traditions, raisonnerait et agirait aujourd’hui comme elle l’a fait du temps de Louis XIV et de Napoléon. La conversation que le chancelier actuel a eue avec l’ambassadeur d’Angleterre, M. Goschen, au moment de la déclaration de guerre, est à cet égard bien curieuse. La surprise de M. de Bethmann-Hollweg a été sans bornes lorsque l’Angleterre a rompu. Cet homme, qui avait montré jusqu’alors du sang-froid et du bon sens, en a littéralement perdu la tête et a mêlé à ses imprécations des propos prodigieux qu’il a dû regretter depuis, car ils ont retenti dans le monde entier où ils n’ont fait honneur, ni à lui, ni à son pays. — Eh quoi ! s’est-il écrié, l’Angleterre se prononcerait contre l’Allemagne, un pays auquel elle est apparentée, un pays qui croyait pouvoir compter sur sa sympathie, un pays avec lequel elle n’avait jamais eu un dissentiment profond ! Un homme est aux prises avec deux agresseurs qui veulent