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le tuer : un troisième survient et lui plonge un poignard dans le dos ! — L’homme traîtreusement attaqué est l’Allemagne ; son meurtrier est l’Angleterre. M. de Bethmann-Hollweg n’en revient pas. Il y a de la naïveté dans son étonnement et dans sa colère. Peut-être n’avait-il pas encore lu le livre de M. de Bülow. S’il l’avait fait, sa colère aurait persisté, mais non pas son étonnement.

Ce qui provoque le nôtre, c’est que M. de Bülow lui-même, malgré son livre, n’a pas l’air de s’être beaucoup plus attendu que M. de Bethmann-Hollweg à ce qui est arrivé : on peut en juger à la manière dont il raconte ce qu’il appelle la tentative d’encerclement de l’Allemagne par le roi Edouard VII et le dénouement qu’elle a eu. M. de Bülow, qui est homme du monde et diplomate, parle d’Edouard VII avec une grande convenance dans les termes, mais il découvre distinctement en lui un ennemi de l’Allemagne, qui s’est donné pour but de former une coalition continentale contre elle. Il raconte les intrigues perfides que le Gouvernement anglais a nouées, sous l’inspiration de son Roi, pour isoler l’Allemagne en Europe et tourner contre elle la France, la Russie, l’Espagne, sans doute aussi les petites Puissances du Nord. Nous ne nous porterions pas garant que le roi Edouard VII ait eu vraiment toutes les intentions que M. de Bülow lui prête, mais, s’il les a eues, l’Allemagne a merveilleusement aidé au succès de ses vœux. Sa politique de coups d’épingle, ou plutôt de coups de bottes contre tout le monde a commencé dès ce moment à tourner tout le monde contre elle, au point qu’on l’a vue, à la conférence d’Algésiras, à peu près abandonnée, même par ses alliés. M. de Bülow le conteste : il parle des services que l’Autriche et l’Italie ont rendus à l’Allemagne et dont celle-ci leur a été reconnaissante ; mais, par un chef-d’œuvre de diplomatie de leur part, il faut le croire, la France elle aussi a été satisfaite de l’attitude de ces mêmes Puissances et leur en a gardé un bon souvenir. En réalité, l’Allemagne, dans une conversation directe avec nous, aurait probablement obtenu plus que nous ne lui avons concédé lorsque nous avons pu nous appuyer, à Algésiras, sur la majorité et, en certains cas, sur l’unanimité des Puissances qui y étaient représentées. Déjà les prétentions de l’Allemagne commençaient à inquiéter, à irriter. S’il y a eu encerclement contre elle, c’est encore plus à elle qu’au roi Edouard VII que ce résultat a été