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ses propres intérêts européens à des intérêts étrangers de politique générale et à exposer ses os pour autrui. Mais cette réserve de sa part était-elle une surprise ? Pas tout à fait. Dans une certaine mesure, M. de Bülow l’avait prévue et Bismarck l’avait fait avant lui. « Il y a des politiciens, dit M. de Bulow, qui hésitent à attribuer une vraie valeur à la présence de l’Italie dans la Triple-Alliance. Ils doutent que l’Italie soit en mesure et qu’elle ait le désir de marcher la main dans la main avec l’Autriche et avec nous dans toutes les complications éventuelles de la politique internationale. Même si ces doutes étaient fondés, ce qui n’est pas le cas, étant donnée la loyauté des facteurs dirigeans de l’Italie et l’intelligence politique du peuple italien, ils ne démontreraient pas absolument que la participation de l’Italie à la Triple-Alliance est dénuée de valeur. Même si l’Italie ne pouvait pas marcher dans toutes les situalions, jusqu’aux conséquences extrêmes, avec l’Autriche et nous, même si l’Autriche et nous, nous ne pouvions pas nous lancer avec l’Italie dans toutes les complications des engrenages de la politique mondiale, l’existence de l’alliance empêcherait cependant chacune des trois Puissances de se ranger aux côtés de l’adversaire des deux autres. C’est ce qu’envisageait le prince de Bismarck, lorsqu’il disait un jour qu’il lui suffisait qu’un caporal italien, avec le drapeau italien et un tambour à côté de lui, fit face à l’Ouest, c’est-à-dire vers la France, et non à l’Est, c’est-à-dire dans la direction de l’Autriche. Tout le reste dépendra de la façon dont se posera éventuellement une cause de conflit en Europe, de la vigueur que nous montrerons alors au point de vue militaire et des résultats qu’obtiendront nos soldats et nos diplomates. » Nous laissons à nos lecteurs le plaisir de savourer ce morceau. Bismarck réduisait ici au minimum ses exigences qui étaient ordinairement plus impérieuses ; il ne demandait à l’Italie et M. de Bülow ne lui demande à son tour qu’un caporal tourné vers l’Ouest avec un drapeau et un tambour : cela même est refusé à l’Allemagne. « La valeur suprême et totale d’une alliance ne s’éprouve qu’en cas de guerre, » conclut philosophiquement M. de Bülow. On a vu, en effet, dès le premier coup de clairon, quelle était la valeur de la Triple-Alliance. La Triple-Alliance, il faudra désormais se servir de ce mot en parlant de l’Angleterre, de la Russie et de la France, car c’est là qu’il s’applique bien : l’alliance de l’Allemagne