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de nouveau arrêté par les rudes réalités de la politique continentale, dont la plus rude est la Triple-Alliance. » On ne s’est jamais trompé plus complètement.

Puisque l’Allemagne se flattait d’avoir obtenu un grand succès, que ne s’y est-elle tenue ? Il y a des expériences qu’il ne faut pas recommencer. Des circonstances qui semblaient analogues à celles d’alors ont amené hier un résultat opposé et le motif en est simple : c’est que la Russie, qui n’avait pas oublié le désagrément douloureux que l’Allemagne lui avait infligé en 1908, n’était pas disposée à en subir un nouveau. L’Allemagne a cru, au contraire, que la Russie, ayant cédé en 1908, devait le faire également en 1914, et on vient de voir que M. de Bülow l’avait annoncé par avance en termes formels. La vérité est bien différente : la Russie, qui avait refait son armée et repris des forces, n’attendait que l’occasion d’avoir sa revanche. Cette occasion, ni elle, ni nous, ni l’Angleterre ne l’aurions provoquée ; le respect de l’humanité nous aurait retenus ; mais nous étions résolus à ne plus la manquer, si l’Allemagne, poussant jusqu’à la démence la griserie d’une force qu’elle n’avait pourtant pas mise à l’épreuve depuis plus de quarante ans, assumait elle-même la responsabilité de la guerre. Comment aurait-il pu en être autrement ? L’occasion se présentait sous les apparences les plus rassurantes : en effet, la Russie savait qu’elle pouvait compter sur le concours de son alliée et, quoiqu’elle n’eût pas la même certitude absolue en ce qui concerne l’Angleterre, le concours de celle-ci était probable : il est devenu certain, dès que la neutralité de la Belgique a été violée. Qu’importe, devait penser M. de Bülow, puisqu’il reste la « rude réalité » de la Triple-Alliance ? On vient de voir combien haut il faisait sonner la valeur politique et militaire de cette combinaison politique. « Rarement, dit-il encore, sinon jamais, l’histoire de l’Europe n’a vu une alliance aussi solide. » Il en était bien sûr, mais, une fois de plus, il s’est trompé : dès qu’elle a fait appel à ses deux alliés, l’Allemagne en a vu un lui échapper.

Ce ne pouvait pas être l’Autriche, puisque c’est pour elle qu’on faisait ou qu’on avait l’air de faire la guerre, mais l’Italie s’est détachée de l’alliance et s’est déclarée neutre. Elle en avait le droit incontestable, car l’affaire avait été engagée à son insu, et elle en avait aussi les meilleures raisons, n’étant pas d’humeur, pour employer les expressions mêmes de M. de Bülow, à subordonner